Raed, un cinéaste palestinien, est reçu en consultation par son médecin de famille. Lexamen terminé, le patient interroge le praticien sur lorigine de la migraine dont il souffre depuis un an. Non pas de maux de tête qui fluent et refluent mais dune migraine. Unique. Continue. Entêtante et omniprésente. Ce bourdon, ce fil à la tête occupe son esprit, envahit ses pensées, le martyrise, modifie ses habitudes, son rapport au travail, son tempo. Impuissant à en établir le diagnostic, le médecin lui suggère de sen ouvrir au Président de lAutorité Palestinienne, Mahmoud Abbas, ou à "celui den face", linstance supérieure de lenvahissant voisin. Si le ton du film est donné, Raed ne peut sen tenir à cette expression dironie désabusée. Il veut comprendre son mal, en déterminer la cause, guérir, sen libérer. Incidemment, il vit dans un pays qui lui aussi souffre dune durable céphalée, un pays qui ne parvient pas à se forger une issue dans la constitution dun État, une portion de territoire occupée, envahie, dépossédée du contrôle de sa propre destinée. Ce noeud douloureux constitue le centre nucléaire du film pour linnerver en profondeur. Raed se rend dans lun des services de santé mentale de Ramallah - une antenne du Croissant Rouge palestinien - où il habite. Il commence une thérapie, interroge sa famille sur déventuels antécédents, ses amis, parfois sujets aux mêmes symptômes, les militants dont il a partagé les combats et les prisons, refait à lenvers le chemin de sa vie. Il en résulte un film enquête conçu comme une cure analytique qui, déterminée à explorer la psyché dun sujet singulier finit par diagnostiquer un groupe humain tout entier, groupe humain assujetti à une épuisante domination. Au-delà des attendus politiques du film, 'Fix ME' pose une question, à la fois étrange et belle : quest-ce quun corps ? Un corps souffrant ? Et plus précisément encore, quest-ce quun corps de cinéma ? Si lon est attentif, si lon pense que le langage est une affaire sérieuse, on naura pas manqué de noter que le ME de 'Fix ME' sécrit en lettres capitales. Et chacun le sait, la capitale, cest la tête. Si en anglais, 'to fix' signifie précisément réparer, il nest pas interdit de décliner réparer en réparation. Ainsi limpérative injonction du titre revient-elle à demander réparation des préjudices subis. Céphalée comprise. Quoi quil en soit, avant de songer à le réparer, peut-être faudrait-il savoir ce que cest ME, moi. De quoi est-ce fait ? De quel capital (encore) dexpériences, familiales, historiques, politiques et culturelles est-ce constitué ? Ces questions, qui pourraient concerner tout un chacun, cest un corps osseux qui les posent, un corps noué sur lequel semble être passée et repassée la locomotive de lhistoire, un Buster Keaton qui na plus le cur à faire des acrobaties, un visage émacié barré du sourire désolé qui vient sur les lèvres quand on regarde sa souffrance dans les yeux. 'Fix ME 'est un film déchirant, et déchiré, quil ne faudrait manquer sous aucun prétexte.
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