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Dans tes rêves. par Christensem

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Harold s'étira vers les quatre coins cardinaux comme un gros chat paresseux. Autour de lui flottait dans l'air des relents d'encre fraiche et de mécanique lubrifiée... La rassurante silhouette d'une "Olivetti" le remit droit dans ses bottes. Il se leva et repoussa dans son dos le siège où il s'était assoupi. Il était grand temps de se remettre à l'ouvrage. Une fastidieuse journée de travail l'attendait, il devait relire le dernier paragraphe de ce roman que ses fans impatients attendaient comme le nouveau Saint Graal. Persuadé d'avoir mis le meilleur de lui-même, Harold en était déjà très fier. Comme d'habitude la critique allait l'encenser... ça devenait presque lassant. Il allait sortir de la pièce lorsque son regard s'arrêta sur sa vaillante machine à écrire. Quelque chose clochait dans son apparence. La luisante carapace de cet enchevêtrement de fonte et d'acier s'était voilée de gris pendant son sommeil ! Les mandibules, les élytres et les mâchoires de ce monstre aux cliquetis rassurants semblaient s'être fanés dans un effroyable silence. L'amie de toujours, la complice de ses nuits avait perdu tout son éclat ! L'air stupéfait il glissa les doigts sur l'épaisse poussière qui ternissait le clavier... les lettres apparurent les unes derrière les autres... Submergé par un malaise inexplicable il se laissa retomber lourdement dans son fauteuil. L'évidence le cloua sur place : Personne n'avait écris avec cette machine depuis des mois !... Probablement même depuis des années... Curieusement, trois touches semblaient avoir servi très récemment. Le i , le f et le n... C'était les seules lettres qui luisaient dans la clarté du petit matin... Il actionna le levier de rappel du chariot pour sortir le papier de la gueule de la machine. Sur la lisière supérieure de la feuille jaunie par le temps une répétition de mots semblables apparut. Pris de fébrilité il glissa ses lunettes sur son nez, enleva le papier et d'une main tremblante le plaça dans la lumière du jour... - "Fin... Fin... Fin... Fin" Murmura t-il d'une voix blanche... Une armée de "Fin" se pressaient dans une farandole frénétique et noircissait la page jusqu'en bas. Déconcerté, il parcouru la pièce du regard. A présent elle lui semblait complètement étrangère. Sur la droite du bureau une ramette de papier vierge attendait qu'on la déballe. Nulle présence du manuscrit qu'il s'apprêtait à relire. Aucune preuve de l'activité de son inspiration La poubelle était vide. Tout comme les étagères. Pas la moindre trace des différents best-sellers qu'il avait signé. Le reflet d'un miroir l'attira. Il examina son visage. Un étrange rituel plus que nécessaire ; la réalité mettait un certain temps à se réapproprier de lui. Comme d'habitude la marque de sa chevalière ornait profondément sa joue droite. Pendant combien de temps avait-t-il dormi affalé devant sa machine, pour être tatoué ainsi ! Cette fois-ci le papier jauni trahissait un sommeil d'une durée effarante ! Une période qui correspondait pratiquement à celle des douze chapitres des péripéties que son héros venait de vivre... Cet angoissant constat à peine digéré, il remit de l'ordre dans sa coiffure, arrangea son col et sorti prendre l'air pour dissiper son amertume dans les rumeurs de la ville. Une fois de plus il dû se résigner à la cruelle vérité ; il n'écrivait que dans ses rêves. De merveilleuses histoires dont il ne retenait jamais que le mot "Fin".

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