Dehors, agrippée au perchoir, une grive émaillée d'argent lutte contre le vent.
Pour mieux voir, le nez écrasé dans la buée des vitres mes deux gamins font chanter le verre du bout des doigts.
Ça les fait marrer.
- Chhhut....
Une bourrasque plus forte que les autres gonfle le plumage de l'oiseau. D'un coup d'aile il retourne sur sa branche en nous défiant de son il rond.
Limite arrogant.
Il n'en faut pas plus pour que les fripouilles, une moue chafouine en guise de dérobade, me lâchent et retournent batailler sur la moquette...
Cramponné au tronc du vieux tilleul, mon nichoir flambant neuf a pourtant fier allure !
Vas-donc t'emmerder toi !
Bande d'ingrats.
Lorsqu'ils sont venus me harceler avec leur foutu magazine "Nichoirs et mangeoires pour volatiles sans logis" je les ai pourtant suivi sans broncher.
Trainant les pieds dans les copeaux de l'atelier, fourrant leurs narines au dessus de mon pot de colle à bois, ils n'ont pas cessé de me houspiller, me vexer.
Trop petit. Pas assez large... pff
Le bricolage c'est pas mon truc. Ils le savent bien.
Pourtant, à ma grande surprise, quelques heures plus tard, avec pas mal d'imagination et beaucoup de clous tordus, j'accouchais enfin de cette splendide cabane à piafs.
Evidemment, faute de patience, de talent et surtout de courage, j'ai dû me résoudre à appeler le ciel à mon secours.
C'est certainement lui qui m'a envoyé fouiner dans les antiquailles de mes regrettés parents.
Là-bas, au fond du garage, là où se trouvent nos trésors de famille.
Une fois de plus, leur brocante sacrée a payé un lourd tribu pour assouvir les caprices de leurs petits-fils.
Et surtout mes incompétences.
J'ai démonté, percé, découpé la précieuse caisse à outil de mon vénérable paternel pour en faire une jolie guitoune. Puis j'ai bricolé un toit très convenable en utilisant le couvercle de l'inestimable boite à couture de ma mère.
Sous le regard consterné de mes bourreaux en culottes courtes j'ai même sacrifié le sacrosaint marteau de leur grand-père... son manche tout rond faisait un perchoir très pratique.
Mes pauvres parents ont dû se retourner dans leur tombe...
Se sentant sans doute un peu responsable de cette hécatombe dans le patrimoine de la famille, le plus grand s'est fendu d'une remarque surprenante.
Une pensée merveilleuse.
- Comme ça, lorsqu'on regardera les oiseaux venir picorer dedans, on pensera à papy et mamy. On les oubliera pas.
Et le plus jeune de rajouter.
- Et si on disait que c'était papy déguisé en moineau qui viendrait manger les graines ! Ça serait trop marrant !
Et ils sont repartis se rouler sur la moquette, se vautrer dans leur insouciance. Le rire taquin.
Un merle vient de se poser prudemment sur le manche du marteau.
Son gros bec jaune en titille le bois.
Curieusement.
Une lueur étrange illumine sa prunelle dorée.
Une impression de déjà vu.
Le regard contrarié de mon vieux.
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