Dégomme par Stefano

17 octobre 1961 Aux Galeries, j’ai trouvé des ballerines qui me plaisent beaucoup. Nous avons des invités ce soir, je préparerai un gigot, je l’avais si bien réussi la dernière fois. Alain devrait aimer. Il donnait ce matin une conférence à la Sorbonne, sur le thème de l’absence d’intrigue dans le roman contemporain et arguait de son remplacement par le simple pouvoir de la phrase. Comme souvent, face à un public relevé et intéressé, il a été brillant. Très éloquent, ses réponses ont été claires, même à des questions pointues. Dans l’amphi, on m’a prise pour une étudiante de première année, ce qui ne m’a pas déplu. Mon voisin a entrepris de me faire du gringue. Comme ses traits étaient fins et qu’il avait un regard intelligent, je l’ai laissé me caresser doucement la cuisse. Ses gestes doux, savants, parvinrent à m’exciter. Une heure plus tard, dans un petit hôtel du quartier latin, il me fit l’amour de manière tout à fait normale, ce dont je n’ai pas l’habitude avec Alain. Le contrat que mon époux voudrait me faire signer est resté dans la table de nuit car les instruments qu’il souhaiterait employer pour « durcir » les séances ne me tentent pas le moins du monde, et puis la position classique, ce n’est pas si mal. 19 novembre Depuis le Lion d’or, Resnais vient moins souvent mais leur estime mutuelle reste forte. Ses rapports avec les femmes restent assez mystérieux, je me demande s’il cherche à connaître toutes les actrices qu’il enrôle et s’il a jamais été amoureux. Les créateurs nourrissent beaucoup de fantasmes, on dirait. 24 novembre Des goûts de Jérôme, l’éditeur, on en sait davantage. Alain lui a proposé avant-hier de passer quelques instants ce soir en notre compagnie. Il n’a pas hésité, tout timide qu’il est, à poser sa main sur mon sein lorsque Alain a ouvert mon chemisier. Un léger frisson m’a parcouru l’échine. Je ne suis pas sûre qu’aller plus loin me donnerait beaucoup de plaisir, et puis il est trop politisé. Ce matin, quand Catherine m’a déposé un baiser sur les lèvres avant que je descende de voiture, le désir a été bien plus fort. J’aime profondément Alain mais il me fait peu l’amour. Ses goûts sont tellement particuliers, il se caresse souvent, ce qui ne l’empêche pas d’être le plus tendre des maris, je suis heureuse avec lui. L’échangisme le tente mais cela ne se fera que par petites touches, à tâtons. Avec Jérôme, peut-être, on verra, c’est pour l’instant un jeu sans conséquences. Alain a vite coupé notre « conversation » au prétexte sonore de parler du Renaudot. Cela m’a fait songé au film de Queneau et Mocky, Un couple, que nous avons vu en septembre et qui m’a fait rire. Le seul couple intéressant à l’image finit par se désintégrer. 25 novembre Fatiguée, sans la moindre énergie, ferais-je de l’anémie ?, je traîne au lit. Je ne travaille pas pourtant je suis épuisée à longueur de temps. Pour l’occuper sans trop de dépense, je vais finir Une curieuse solitude du jeune Sollers, un livre de vieux digne de Mauriac. Il est doué, roué déjà, plus fin que Sagan. 10 décembre Pas écrit depuis des semaines. Je reprends aujourd’hui parce que Alain a terminé la rédaction de L’Immortelle, son dernier scénario, enfin ! L’écriture est un exercice difficile et un peu gratuit pour moi, d’ailleurs je ne voudrais pas qu’on lise mon journal. Je me demande parfois pourquoi le poursuivre. Demain j’ai rendez-vous avec Catherine en fin d’après-midi.