Bienvenue dans un monde barbare par Jules Félix

Un monde capable de concevoir un vaccin contre le paludisme, cause d’un million de morts par an essentiellement en Afrique. Un monde prêt à décrocher la lune, à flirter avec Saturne et à explorer les frontières de l’univers. Un monde qui envoie dans l'Espace des fusées Soyouz depuis Kourou les 21 octobre à midi trente. Un monde parfois de solidarité et de partage. Mais aussi, un monde d’atrocités. La veille, tu apprends la disparition de Marie Dedieu, une féministe engagée, l’otage française kidnappée par des ravisseurs somaliens pour quelques sacs d’argent. Handicapée, très gravement malade, elle n’a pu emporter avec elle médicaments et fauteuil roulant. Des négociateurs auraient échoué à lui transmettre les traitements. Non seulement elle en est morte, mais les kidnappeurs veulent encore monnayer la restitution de sa dépouille à la famille. Le lendemain, tu apprends la mort de Kadhafi. Lynché à soixante-neuf ans. Sentiment contrasté entre le soulagement de la fin d’un dictateur sanguinaire et d’une très longue dictature qui a duré quarante-deux ans (quarante-deux ans ! ta mère avait à peine deux ans !), responsable de massacres par centaine de milliers, d’attentats absurdes, d’aide militaire à l’IRA et à l’ETA (ETA qui vient d’annoncer la fin définitive de sa lutte armée), et la débilité de tuer un homme qu’il aurait fallu juger. Le sort de Kadhafi hésitait entre Ceaucescu-Ben Laden et Saddam Hussein. Il aurait pu être Milosevic, Gbagbo ou même Pol Pot, ou Pinochet, réussissant à fuir dans un paradis discret. Son cadavre est affiché avec une rare violence partout où l’on regarde l’actualité. G., toi qui commences à ouvrir tes petits yeux tout vierges, Bienvenue dans ce monde barbare !