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Ils ont commencé sans nous (1) par Jules Elysard

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Depuis longtemps déjà, depuis les années soixante, nous étions habitués à regarder passer des révolutions, comme disait Léo Ferré. Mais depuis les années octante, il n’était plus question de guévarisme, de castrisme et même de sandinisme : il est depuis question de révolutions conservatrice, libérale, managériale, numérique. Jusqu’à cette année 2011 où des mouvements d’humeur et rue se sont multipliés. 1) Les premiers ont commencé en fin d’année 2010 en Tunisie, puis se sont poursuivis en Egypte. Je ne sais pas pourquoi on les a qualifiés de printemps arabe. Les commentateurs, toujours aussi inspirés, faisaient implicitement référence à ce printemps de Prague qui est contemporain des événements parisiens. En cette année 68, un vent de liberté avait soufflé en Occident et, même s’il avait été étouffé à Prague, il s’était répandu en Europe et en Amérique. Cet esprit de 68 avait ses détracteurs : on l’a vu en 2007. Mais les événements du Maghreb ont peu à voir avec cet esprit-là. Ils ont plutôt à voir avec l’esprit du temps présent, d’une part ; et, d’autre part, avec l’esprit qui animait les grands parents (ou les arrière grands parents) des jeunes manifestants dans les années cinquante. Le dégagement de Ben Ali et de Moubarak sont évidemment des conséquences lointaines de la décolonisation. Dans cette partie du monde, la décolonisation avait pris le visage du panarabisme, avec les illusions et les désillusions que l’on sait. Ben Ali et de Moubarak sont les héritiers et les fossoyeurs de Bourguiba et de Nasser. Ces deux leaders étaient les figures centrales du panarabisme laïc et progressiste, chacun à sa façon, l’un élevé à l’école française et soucieux des droits de la femme ; l’autre, dans la sphère anglaise, s’étant rallié à l’école du « socialisme » russe. Le panarabisme est mort de ses contradictions internes principalement, et accessoirement de ses échecs répétés face à Israël. L’islamisme « politique » lui a succédé dans « la rue arabe », « l’opinion publique arabe». Ben Ali et de Moubarak, revenus du panarabisme, sont restés longtemps, aux yeux des dirigeants occidentaux et des opinions publiques occidentales, comme des remparts contre l’islamisme. Cet islamisme avait lui-même été instrumentalisé, depuis les années octante, par les dirigeants états-uniens contre l’empire « soviétique ». Puis à l’empire du mal a succédé l’axe du mal. Kadhafi, le troisième dirigeant visé par les émeutes et le premier à le payer de sa vie, avait été un associé de l’empire du mal avant de sembler hésiter entre l’axe du mal et l’axe du bien. Il était resté, lui, et jusqu’à la caricature, le tenant du panarabisme. Certes il donnait des gages à ceux qui le menaçaient, mais qu’il pensait pouvoir manipuler et réprimer (les islamistes) ou qu’il pensait pouvoir tromper (les gouvernements occidentaux). Mais il gardait intacte son hostilité radicale à cette greffe occidentale en terre d’islam : l’Etat israélien. La situation géopolitique de la Libye, la brutalité spectaculaire de son « guide » ainsi que sa fragilité réelle, ont autorisé l’intervention de l’OTAN et ont offert à Sarkozy et à Cameron un « Afghanistan de proximité », selon le mot de l’Etat-major français rapporté par le Canard Enchaîné. En France, le plan de com de cette intervention a été confié à l’agence BHL. Son président a fait le tour des médias pour dire combien « le Guide » était méchant et combien il avait confiance dans les membres de ce CNT qu’il avait rencontrés personnellement. Le lendemain du décès du « Guide » dans des circonstances pas entièrement élucidées, il déplorait que des « éléments incontrôlés » se soient livrés à la pratique du lynchage. Mais il gardait sa confiance à ce CNT dont le porte parole assurait que le Kadhafi, capturé par ses troupes, était tombé lors d’un échange de feu qui avait suivi entre les belligérants. Les images de cette mort ont touché Bernard Henri qui a concédé que le tyran avait choisi sa mort, son destin, etc… Une autre version avait circulé disant que le convoi du Guide avait été préalablement attaqué par les avions de l’OTAN, forçant le dit Guide à se réfugier dans un trou comme un rat. Mais les images du convoi calciné semblent montrer que le but avoué était bien de se débarrasser du tyran. Les « éléments incontrôlés » n’auraient alors que terminé le job. Je ne sais pas ce qu’a dit Bernard Henri en regardant ses images. Je ne sais pas non plus s’il a gardé sa confiance à ce CNT dont le porte-parole avait évoqué depuis le retour à la charia. Mais il ne faut pas charrier. Il pourrait rétorquer comme autrefois que « la révolution n’est pas un dîner de gala ». Cependant la pensée de Bernard Henri n’est pas d’un secours pour comprendre le moment historique. J’ai dit que les événements du Maghreb étaient animés par l’esprit de la décolonisation. L’esprit du temps présent qui a les animait par ailleurs a été formulé par Emmanuel Todd : c’est l’envie de démocratie suscitée par l’alphabétisation et le contrôle des naissances. (à suivre)

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