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L'avenir dans le dos par Annaconte

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Dans le train très rapide et bondé, tous filaient pleins d'espoirs vers l'avenir. Devant eux, le futur s'annonçait, brillant ou foutraque, qu'importait, les mains pleines de certitudes, et de projets pour les uns, de doutes et d'anxiété pour les autres moins bien pourvus. Demain il ferait jour et à chaque jour suffirait sa peine, se répétaient-ils en croisant dans leur dos leurs doigts engourdis, comme pour conjurer le pire. Ils n'avaient pas tort en définitive...Ils abandonnaient derrière eux leur passé usagé, leurs passions et leurs objets fânés, et n'emportaient sous leurs pieds qu'un peu de poussière fine des temps évanouis, parfois un gravier gênait leur marche mais ils s'habituaient à la longue, et finissaient par boîter plus ou moins, de toutes façons, tôt ou tard, ils ne marcheraient plus... Alors, ils montraient le futur devant eux avec un geste de la main, et ce qui devrait arriver arriverait. Quand le passé les titillait un peu, d'un simple mouvement de l'épaule ils renvoyaient à l'arrière tous leurs souvenirs, ils tournaient le menton sur le côté pour mentionner hier ou avant-hier... Tout ce qui appartenait au passé se trouvait maintenant derrière eux, dans leur dos, et par ma foi cela allégeait tout de même l'angoisse et le poids des erreurs et des fautes anciennes. Tout ce qui se trouvait devant, en face, inconnu et mystère, était auréolé de prestige et placé sous de bons auspices, de possibles et d'ouvertures flamboyantes, de gains fabuleux et probables au grand jeu du loto de la vie, et de l'amour ! Ils demandaient tous d'ailleurs en achetant leur billet à être assis dans le sens de la marche, près d'une fenêtre bien sûr pour pouvoir vérifier sans arrêt le bon déroulement des choses et le défilé parfait des paysages. Les plus chanceux avaient dans le regard cette lueur presque arrogante, des nantis ! En face d'eux et à contresens, leurs compagnons infortunés, se repliaient sur leur ouvrage, un tricot ou un livre, ou croisaient leurs mots sur des grilles comme enfermés dans une cage sans soleil...Il y a de l'injustice jusqu'au fond des compartiments d'un train, il y a des classes, de la bonne première racée, avec ses sièges de croisière velours, de la banale seconde et jadis même des fourgons à bestiaux, , mais il n'en demeurait pas moins que le bon sens n'était pas toujours bien partagé...et que le sens de la marche était pour la plupart, le véritable enjeu et le luxe suprême qu'il s'agissait d'arracher ! Aymara, au teint cuivré, chargé d'un ballot de tissu coloré, le seul qui n'avait pas de place assise, se tenait debout en queue du train, devant la dernière porte vitrée au-dessus de la voie, à l'écart des autres, isolé sur la plateforme déserte. Aymara regardait défiler le paysage à l'envers....à toute allure, les rails engloutissaient le passé, et l'instant, avec la même féroce voracité, le temps semblait se dissoudre sous les pieds tremblants d'Aymara, qui n'était plus désormais que le point éphémère vers lequel convergeaient vertigineusement les lignes folles de l'espace, et du temps....et lui-même comme avalé à la seconde ultime.. Pour Aymara, qui venait de si loin, et qui n'avait nulle part où aller...ce paysage vibrant devant ses yeux ivres et las, et qui n'en finissait pas de disparaître dans le sillon d'acier, avec parfois de brèves étincelles de feu, cette fulgurance dans laquelle à présent il s'abimait, fasciné et immobile, pour Aymara et lui seul, c'était le passé, son passé en entier qui était devant lui ! et s'activait goulûment à façonner sur le champ un futur improbable... Aymara jeta un coup d'oeil par-dessus son épaule et fit un geste de la main en arrière pour imaginer l'avenir qui l'attendait. note sur Wiki : Le peuple Aymara -Altiplano- a une conception du temps différente de celle qui prévaut dans les cultures européennes : aux yeux de celles-ci, elle serait une "conception inversée". Pour l'aymara, le passé, connu et visible se trouve devant le locuteur alors que le futur, inconnu et invisible, se trouve derrière lui[4],[5]. Cela vaut également pour le Quechua. (Notons que cette conception du temps se retrouve également en Mésopotamie ancienne)

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