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"tout un monde de proximité, de rapports humains directs et chaleureux." par Coucou c est ginou

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Il y a cette respiration, dans l’image comme dans le tempo, où les gestes ont le temps de se déployer, ont la place d’exister ; il y a (comme souvent dans les films qui me touchent) cette caméra à la bonne distance, pas trop rapprochée, des plans où les gens ont la place de se mouvoir, de se parler et de se taire, de se regarder. On les regarde, on est là, à côté d’eux, au comptoir à siroter un blanc en les écoutant parler. Cette respiration, cette lumière des rues, des intérieurs, grise, douce, fruste, et traversée de couleurs gaies, en à-plats, un peu primaires, mais douces aussi. Il y a ça dans quelques tableaux d’Utrillo (le marchand de couleurs, par exemple). Aki Kaurismäki porte sur la ville un regard de peintre. (Sur cette ville qui se nomme « le havre ». Ce que signifie ce mot, Kaurismäki nous le donne à entendre.) Sur les personnes, aussi. Un portraitiste. Quels portraits ! Des visages vivants, si vivants. Portant leur vie, leurs traces, leur mémoire, une ride traverse une joue, une veine bleutée affleure sous la peau, une paupière fragile, un peu gonflée, une bouche entre sourire et tristesse, et l’ovale parfait d’un visage d’enfant, tout ça rendu sans effets de style, une matière précise, véridique, qui rend superflus tous les dialogues qui d’ordinaire cherchent à « poser » les personnages. Rien d’ordinaire, là, rien de superflu. Ils sont là. Des postures un peu gauches, ou alors au contraire ces gestes mille fois répétés du quotidien, la courroie passée sur l’épaule, la bouteille débouchée, penchée sur le verre, rebouchée, d’un seul mouvement. Des hommes, des femmes, sans âge — c’est à dire un peu vieux, et d’une autre époque, et pourtant nos contemporains, et cette jeunesse qui ne passe pas, avec ses silences, ses pudeurs. (Et ces voix, aussi. Ces timbres, ces accents, cette prise de son précise et légère, comme l’image.) Contemporains. La première séquence on sait tout de suite quand ça se passe, l’histoire (parce qu’il y a une histoire, très simple, essentielle mais en même temps sans importance), que ça se passe aujourd’hui. À cause de cette folie bureaucratique et policière, montrée avec très peu d’effets, juste ça : quelqu’un gémit dans un container sur le port quand le veilleur passe (il fait nuit), mais il faudra attendre (des heures, il fait grand jour) le déploiement des flics armés pour qu’enfin on fasse sauter le cadenas et que la croix rouge — ah les types de la croix rouge : « vous allez bien ? »… on sait pas ce qui est le plus terrible, la lenteur des secours, la dénégation contenue dans cette question, ou le flic prêt à tirer sur un môme qui s’échappe. On est bien aujourd’hui. (« bien », c’est une façon de dire. On est mal.) Pourtant on est hier, aussi. Pas que le film soit hors du temps, mais pas enfermé dedans, non plus. Il circule, il va chercher. On est… fin des années cinquante, début soixante, ça vous dit quelque chose ? Les types coiffés d’une banane, le téléphone à l’épicerie du coin de la rue, le casse-croute dans la boite, la table en formica, et les robes en viscose à corsage croisé et jupe soleil… la guerre d’Algérie, les clandestins, les flics, les barbouzes. (souvenir qui remonte, cette sensation de menace, quand C. était planqué à la maison parce son père avait reçu des avertissements de l’OAS…) En même temps, Daroussin est aussi bien un milicien de 40, c’est un flic de toutes les époques (de tous les Papon, on pourrait dire). D’aujourd’hui, aussi. Pourquoi je dis que l’histoire est sans importance ? Ceux qui trouvent que « on l’a déjà vu, c’est un remake de welcome », c’est pas la peine qu’ils aillent au cinéma, peuvent se contenter de lire le synopsis, et encore même pas : le « pitch » suffira, débité à la six-quatre-deux par un animateur de talk show pressé (c’est un pléonasme). Pour les autres, ils savent que s’il y a une histoire, c’est toujours la même, « boy meets girl », on peut même aller encore un peu plus loin qu’Hitchcock, peu importe si c’est un homme, une femme, s’il y a une histoire à raconter quelque part, c’est toujours l’histoire d’une rencontre. Toujours la même histoire. Peu importe. Une rencontre. Donc, si le gars derrière sa caméra il a quelque chose à dire, s’il est pas là juste pour faire du remplissage, peu importe le pitch. Et Aki Kaurismäki, c’est un gars qui a quelque chose à dire. Plusieurs choses, même. Comme : « des fois ceux qui ont l’air décalés, non, justement, pas du tout ». C’est dit à ma façon. Pour voir la sienne, de façon, faut aller voir le film. Et bizarrement on s’était dit la même chose, avec Bébert, en sortant de « Leningrad Cowboys Go America », si décalé et pourtant non. Où il y a aussi des types coiffés de bananes qui jouent de la musique. Oui parce que, dans « le Havre », il y a aussi le retour de little Bob. En has been, mais pas tant que ça. (Accessoirement, il nous montre aussi qu’il y a un débouché pour les écrivains ratés : cireur de chaussure. C’est tout de même assez réconfortant à savoir.) Ou encore : « «Nul homme n'est une île, complète en elle-même; chaque homme est un morceau du continent, une part de l'ensemble […] N'envoie donc jamais demander pour qui la cloche sonne: elle sonne pour toi.» Bon, là c’est dit à la John Donne, « Méditations en temps de crise », rien que le titre on voit bien que ça parle de la même chose, après tout. Il me semble qu’il dit aussi d’autres trucs, genre « faut arrêter de prendre les pauvres pour des abrutis, de croire que tous les immigrés clandestins sont analphabètes, de répéter que maintenant c’est chacun pour soi, et toutes ces conneries. » Oui, là aussi, c’est dit à ma façon et lui c’est pas du tout comme ça. Il le dit avec beaucoup de douceur et de tranquillité, il le dit « à l’endroit » et pas, comme moi, en opposition et en colère. Il nous le montre — il y en a pour dire que ce n’est pas « réaliste ». Ah ? Réaliste je sais pas, mais il y a dans ce film une vérité. Précieuse.

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