Voulez-vous refaire avec moi faire un petit tour sur les rives du Gange, à Bénarès (Inde) ? Un voyage que jai fait il y a une dizaine dannées et qui ma laissé un inoubliable souvenir
(Autrefois publié, mais remanié)
BENARES
La barque avance au fil de leau dans la brume du petit matin.
Un soleil rose orangé irradie lhorizon gris et vert où sentremêlent les eaux et les îles.
Déjà dans le ciel des nuages noirs samoncellent et chaque coup de rame dans leau du Gange fait monter une vapeur sacrée qui embue le paysage.
Il a plu, il pleut ou il pleuvra.
Soudain, un chant monte de la berge, sorte de litanie, récitation appliquée et mélodique.
La brume se déchire et Bénarès apparaît, avec ses palais de maharadjah, façades ocre jaune, roses ou bleu pastel, aux murs crevés dhumidité, branlants et noircis.
Chaque matin, à laube, moi Raja, je me sens le maître de ce royaume.
Aujourdhui ici, jadis ailleurs, je suis un infatigable voyageur depuis longtemps, à la poursuite dun rêve, dune utopie.
Savoir qui je suis en retrouvant qui il est. Savoir où je vais en sachant où il est.
Chaque matin, jaccomplis auprès dun brahmane mes dévotions à Shiva, avec ce lancinant espoir que je porte en moi.
Déjà les pèlerins sagglutinent en bas des ghâts, face au soleil levant, de leau jusquà la taille, ils la prennent dans les mains, la font couler entre les doigts, sur le visage et le long du corps.
Au loin courent les enfants avec leurs cerfs-volants. Sur les marches, jerre parmi les mendiants, les marchands, les balayeurs et les laveurs, les joueurs de cricket et les loueurs de bateaux.
Je sais juste deux ou trois choses de lui, la couleur de sa peau, différente puisquil est Européen, de ses cheveux, de ses yeux, son âge et quelques autres détails.
Longtemps jai cru quavec cela je pourrais le reconnaître à coup sûr
Mais ma tâche est ardue, le soleil, le temps qui passe, létat du ciel brouillent les cartes, mes souvenirs et mon imagination me jouent des tours, aussi.
Comment faire pour le retrouver, sinon observer de près, inlassablement, chacun des personnages qui changent et se renouvellent à chaque instant sur les rives du fleuve?
Je ne cesse dinterroger les enfants, toujours curieux malgré leur apparente insouciance.
Leurs jeux les conduisent partout, ils courent dans toute la ville, dans les ruelles sombres et boueuses, ils pénètrent même avec audace dans les cours intérieures des maisons délabrées.
Ils séparpillent dans les champs, à la poursuite de leurs cerfs-volants. Rien ne leur échappe, pas un visage, pas le moindre évènement nouveau ou insolite et je sais que dès quils apercevront celui que je leur ai décrit, ils mannonceront la nouvelle à grand bruit.
Il doit être là, quelque part, il a été vu ou on a cru le voir.
Peut-être était-ce lui, ce sage se tenant sur une seule jambe, les bras en croix et « vêtu seulement par le vent » ?
Ou bien ce sâdhu avec ses hardes couleur de feu, escaladant les marches en sappuyant sur son trident.
A sa poursuite, jai tout quitté, ma mère, mes amis, mon village.
Jai erré comme eux sur les chemins et les routes, mais je ne suis pas devenu renonçant, moine mendiant, philosophe, fumeur de haschisch ou faiseur de miracle
Non, ce nest pas par détachement des biens et des plaisirs du monde que je suis venu jusquici, mais parce que le peu que ma mère ma dit sur lui ma donné cette intuition quil na pu que choisir cette ville sacrée dans sa quête mystique.
Je ne tai pas encore trouvé, cher père
Mais comme toi, je suis envoûté par Bénarès et ses rues sinueuses, son énergie vibrante, sa foule animée et fourmillante, ses couleurs vives, ses odeurs dencens et de bougie, ses musiques lancinantes et son reflet orangé dans le Gange.
Bénarès est tout cela en même temps, et bien plus encore.
Elle est vie et mort, elle est lumière et ténèbres, folie et sagesse.
Elle est pleine de mystères, elle cache de précieux trésors dans ses labyrinthes de rues étroites.
Elle se révèle dans les saris humides qui pendent des toits et dont les couleurs vives et fraîches sèchent au vent léger.
Dans le rire éclatant dun gamin qui tente en vain de reprendre son cerf volant emmêlé dans la toile de fils électriques.
Dans les pas lourds et assurés dun taureau imposant auquel certains cèdent le passage par respect, dautres par crainte.
La vie y est tantôt paisible, tantôt furieuse.
On sy sent parfois seul dans ces vieilles ruelles pavées, escarpées, ne voyant que quelques visages cachés derrière détroites fenêtres, butant contre des portes en bois à la peinture écaillée, aux sculptures fines et tortueuses, qui se referment soudainement.
Mais je ny suis jamais vraiment seul, la ville mentoure de ses bras plein de ferveur et je sens ta présence flotter autour de moi.
Une nuit, jai fait un rêve, tu mes apparu avec un superbe visage couronné de blanc, barbe et cheveux longs encadrant un regard bleu intense et aimant. Tu étais assis en fleur de lotus au centre dun promontoire, face au Gange, sous un parasol de bambou, tu méditais. En mentendant approcher, tu as tourné la tête vers moi et tu mas dit en anglais :
« I was waiting for you ».
http://www.youtube.com/watch?feature=endscreen&NR=1&v=SVGt1vw5HNA
Susheela Raman:http://www.youtube.com/watch?v=UjwqBnZ6t4s
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