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Une dentelle s’abolit par Jules Félix

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Boulez par Boulez… inspiré de Mallarmé : "Pli selon pli" (1962). Dédale dans le métro et j’arrive en avance salle Pleyel. Le hall est noir de monde. Tous âges. Jeunes, moins jeunes. Visiblement, ce soir-là, c’était in de s’y montrer. Pourtant c’est du Boulez. Une fois installé dans mon fauteuil, j’entends derrière moi un spectateur dire que c’est du facile. L’autre lui répond : Boulez, facile ? Nous sommes le mardi 27 septembre 2011 et la star arrive à vingt heures sept. Enfin, la star, non, il n’a rien d’une star, en tout cas, rien d’une étoile qui brille puis périt. Il est là, immuable. Pierre Boulez arrive, un peu recroquevillé dans ses quatre-vingt-six ans et demi quand même. Costume impeccable, le haut du dos un peu courbé, il saute sur son estrade et commence sa musique. Car ce soir, c’est Boulez dirigeant du Boulez. Quoi de plus beau de voir une musique interprétée par son compositeur ? Je dois dire que cela ne m’était encore jamais arrivé, malgré la fréquentation de quelques rares festivals où se risquent de jeunes compositeurs. Dans ma réflexion, oui, bien sûr, quand on arrive à un point d’interprétation très élevé, il y a trop dans la tête, trop de choses à créer, à sortir, d’où le besoin de composer. Je ne peux imaginer être une lumière dans la seule survivance des œuvres des autres. Besoin non pas de créer pour créer, mais d’exprimer mes propres nuances avec ma propre technique, mon propre talent et ma propre sensation. Ne possédant pas cette technique ni ce talent, je me résigne à clore la question et j’écoute. Il n’y a pas d’entracte. C’est tout d’une traite. Enfin, plusieurs mouvements. Aucun applaudissement à la fin de ceux-là mais un bruit singulier d’éternuements et de toux, on dirait que les spectateurs se sont tous arrêtés de respirer pendant la musique ! À la fin du premier mouvement, d’ailleurs, le grand maître dit un truc inaudible à la salle et quitte une minute la scène. Mauvaises partitions ? Elles sont géantes sous son regard minutieux. À ses côtés, il y a la soliste canadienne Barbara Hannigan (quarante ans), soprano, et les musiciens de l’Académie du Festival de Lucerne et de l’Ensemble intercontemporain créé par Boulez. Pas de piano mais cinq harpes, plusieurs xylophones et de nombreux instruments bizarres. Aussi des violons, violoncelles, cors, flûtes traversières… L’œuvre dirigée par Pierre Boulez est donc composée par Pierre Boulez : "Pli selon pli ; portrait de Mallarmé pour soprano et orchestre". Elle a été composée entre 1957 et 1962 et créée en 1962, modifiée en 1989. Cinq mouvements : Don Improvisation I sur Mallarmé : "Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui". Improvisation II sur Mallarmé : "Une dentelle s’abolit". Improvisation III sur Mallarmé : "À la nue accablante tu". Tombeau. La musique pourrait être stressante. Elle est pourtant très intérieure. Pas forcément harmonieuse. Chaque instrument a son mot à dire. Et cette voix, cette soprano qui court-circuite les octaves. Qui les sautent comme on jouerait à saute-moutons. J’ai adoré cette voix qui accompagnait très justement la musique orchestrale. Parfois, Barbara Hannigan fait presque dans le sensuel, comme une actrice de porno qui simule. Poussant des petits cris d’extase. C’est étonnant. Très étonnant. J’ai l’impression que Pierre Boulez a cherché à explorer des contrées musicales encore peu exploitées. Un peu comme Pierre Henry. Un peu comme Picasso pour la peinture. C’est une œuvre insolite. Qui ne laisse pas indifférent. Qui peut mettre mal à l’aise même. Qui intrigue forcément. Sa composition a été inspirée de la lecture de Stéphane Mallarmé qui écrivait : « Ce pli de sombre dentelle, qui retient l’infini ». Pierre Boulez expliquait son œuvre en 1969 : « L’opposition entre compréhension directe et compréhension indirecte, on la retrouvera au long des trois sonnets qui constituent le cycle central (…). Avant d’en arriver à cette question, fondamentale dans une musique se basant sur un texte poétique, il faudrait d’abord dire que la forme de ces pièces suit strictement la forme du sonnet lui-même ; que l’alliance du poème et de la musique y est certes tentées sur le plan de la signification émotionnelle, mais tente d’aller au plus profond de l’invention, à sa structure. On ne peut oublier que Mallarmé était obsédé par la pureté formelle, par la recherche absolue de cette pureté : sa langue en porte témoignage, ainsi que sa métrique. La syntaxe française, il la repense entièrement pour en faire un instrument original, au sens littéral du terme. (…) L’ésotérisme qu’on a presque toujours lié au nom de Mallarmé, n’est autre chose que cette adéquation parfaite du langage à la pensée, n’admettant aucune déperdition d’énergie ». À vingt et une heures douze, les instruments se taisent et le maître se noie dans un flot de neuf minutes de fortes ovations. Barbara reçoit un bouquet de fleurs. Pas de bis. J’ai trouvé Pierre Boulez un peu plus fatigué que la dernière fois que je suis allé l’écouter. C’était le 18 mars 2008. Cela fait déjà trois ans et demi. http://www.pointscommuns.com/lire_commentaire.php?flag=L&id=71640 Quant à la soprano Barbara Hannigan, qui chante régulièrement le répertoire baroque et la musique contemporaine, elle participera à l’opéra de George Benjamin et Martin Crimp lors du Festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence en juillet 2012. Un peu plus tard, je me pose à la brasserie du coin pour dîner, avec pour horizon la place de l’Étoile (mon âme est toujours provinciale ; quand je vois les grands monuments de Paris, je reste aussi émerveillé que devant un coucher du soleil). Devant moi, un groupe de jeunes musiciens. Des musiciennes aussi. Elles sont belles. Elles sont aussi très jeunes. Vingt, vingt-cinq ans tout au plus. Elles parlent anglais. Elles ont joué ce soir. Pour moi entre autres. Content de les subventionner. Pour elles, la journée est finie. Relâchement. Pour avoir un petit aperçu de cette musique, voici quelques liens. Impro I http://www.youtube.com/watch?v=sbjoNdOhpIY Impro II http://www.youtube.com/watch?v=K5WPPOmKopA Impro III http://www.youtube.com/watch?v=uiJeBfJaYJM Tombeau : http://www.youtube.com/watch?v=BqpNZPOkQ1M http://www.youtube.com/watch?v=y08TXClTPyo Béjart : http://www.youtube.com/watch?v=-tF25nA6TrA Avec Barbara Hannigan 22/09/2011 Milan : http://www.youtube.com/watch?v=VxCMxu-R0tU

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