J'ai rencontré Mireille, sur... Nan, nan, je vous assure, pas un site de rencontre hanté de profils à vous interboliser le chibre, vous n'y êtes pas, juste sur un fauteuil en skaï de la sncf. Je suis un garçon plutôt serviable et je lui ai proposé d'installer sa valise dans le compartiment prévu à cet effet. N'allez pas croire que j'avais une idée derrière la tête en exposant à tout vent ma bravitude légendaire. Mireille pourrait être ma mère ou ma tante et franchement, je ne suis pas attiré par ce type de relation. Mais je ne suis pas obtus, ni fermé et j'aime discuter avec tout un tas de gens, sans me préoccuper ni de leur âge, ni de leur catégorie socio-professionnelle, pas plus que de l'ethnie ou religion à laquelle ils appartiennent, y'a que les nihilistes qui me cassent les burnes. Du moment qu'un rapport humain peut-être établi, cela m'intéresse.
Bien évidemment, au début je ne savais pas qu'elle s'appelait Mireille, mais comme nous étions seuls dans le compartiment, on a commencé à parler de tout et de rien, puis au bout d'un moment, Mireille m'a dit qu'elle s'appelait Mireille et moi j'ai répondu que je m'appelais Frank. Et puis Mireille s'est mise à me parler de sa vie, elle était veuve, elle avait épousé le meilleur ami de son père qui avait près de trente ans de plus qu'elle et elle avait été très heureuse avec cet homme. Malheureusement leur vie commune fut de courte durée, puisqu'il tomba malade et souffrit de maux qui lui changèrent le caractère : acouphènes, phosphènes et délire obsidional eurent raison de leur bonheur, il se donna la mort le jour de ses soixante-dix ans. D'après mon appréciation, j'imaginais que Mireille devait avoir dans les quarante-cinq, cinquante ans, quelque chose comme ça, on n'est pas à vingt, vint-cinq centimètres près, sur la décamètre de la vie. Je ne devais pas avoir visé loin puisqu'elle ajouta qu'elle vivait seule depuis presque dix ans et que même si le temps passait vite, cela lui pesait énormément.
- Mais vous savez, je ne me laisse pas aller, je m'entretiens, il faut s'entretenir même si on n'a personne à qui plaire. Je fais de la gym tous les matins, je ne prends jamais la voiture pour aller en course, tout à pieds, que ça monte ou ça descende et puis j'ai un truc génial, aussi bon pour les hommes que pour les femmes, je muscle mon périnée ! C'est très important, même pour vous qui êtes jeune, vous risquerez moins de problèmes de prostate... Et c'est le meilleur moyen de vous garantir un plaisir sexuel à long terme... Oh, mais je vous gêne, faut pas être emprunté vous savez, c'est rien que de la mécanique tubulaire, y'a rien d'occulte dans tout cela, et puis, il y a peu de chance pour qu'on se revoit, c'est la magie des rencontres dans le train, on peut enfin parler sans contrainte.
Son sourire aurait pu illuminer tout le wagon et je me dis qu'elle avait raison, je l'encourageai donc à poursuivre sa théorie comportementale et son incidence sur ma future vie sexuelle.
- C'est très simple, quand je marche je m'imagine une fermeture éclair au niveau de mon appareil uro-génital... Je ne vous connais pas alors j'utilise des termes doctes, tout ça pour pas dire le minou ou le kiki, hi, hi, hi, excusez-moi. Donc vous marchez et vous imaginez un fermeture éclaire que vous ouvrez et fermez mentalement, vous allez voir, ça marche, votre périnée va suivre votre image mentale, c'est comme une étreinte intérieure, il va se contracter à mesure que vous fermez la fermeture et remonter vers le haut et se détendre quand vous penserez ouvrir cette braguette imaginaire... Vous me suivez?
J'essayais son truc et j'avoue qu'au bout de deux trois tentatives je sentais bien de quoi il retournait, je sentais des muscles dont j'ignorais jusqu'à l'existence. Je craignais pour les courbatures du lendemain.
- Bien! Je fais ça depuis plus de dix ans maintenant, c'est du béton! Vous verrez qu'avec votre copine ça va faire des miracles! Vous avez une copine ?
Je lui répondis évasivement, en fait je n'étais pas trop fixé, de nature plutôt portée sur l'ouverture, je n'arrivais pas bien à faire un choix ou plutôt, aucun choix ne s'imposait, donc voilà. Elle sourit avec tendresse et me recommanda d'en profiter.
- Je vous envie. Il arrive un âge où on ne comprend plus pourquoi, mais le désir de l'autre devient plus compliqué, désir ou pinaillage sur la comète, rien ne va plus comme avant, c'est pas qu'on n'a pas des envies, mais c'est comme si aucune pièce de puzzle ne voulait rentrer dans les espaces vacants et si vous forcez le destin c'est totalement bancal, comme si vous vouliez mettre une pièce d'un autre jeu là où elle n'a pas sa place. Faut être patient... ou changer de jeu !
Je l'ai aidée à descendre sa valise sur le quai, j'avais plus d'une heure de route encore avant d'arriver jusqu'à mes pénates. Bizarrement, je frissonnai en regagnant le compartiment, peut-être que me retrouver seul ? Ne plus sentir la chaleur d'une personne dont les rires avaient occupé tout l'espace ? Et puis je ne m'expliquai pas pourquoi elle n'avait, en dix années, jamais rencontré sa pièce de puzzle... et en pensant à cela, je pensais beaucoup plus à moi sans vouloir me l'avouer. Je me concentrai sur un nouvel exercice sur mon appareil uro-génital tout en relisant plusieurs fois le panonceau installé par la sncf au-dessus du filet à bagages : "Ah ! C'est qu'elles voient si bien, les femmes, en une seconde, la chose qu'on n'aurait pas dû laisser traîner !"
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