...déboulant de Saint-Antoine, populace armée de fusils, fourches, bâtons, vociférant dans mon dos et chargeant vers la Bastille
...mais non, ce soir, après avoir passé le porche de mon très vieil immeuble, sifflotant encore la chanson de la plus haute tour, je ne banderai pas ce mollet alerte qui me propulse ordinairement détage en étage jusquà mon pigeonnier, lalcôve tranquille dominant la belle pierre ocre-douce et les ardoises de lhôtel particulier voisin quhabita Maximilien de Béthune, duc de Sully, sa descendance, puis de nombreux propriétaires jusquà son délabrement et sa renaissance.
Non, déjà ce matin, et ce soir plus encore, je vais mesurer dans la densité de chaque pas lusage instantané et séculaire de cette torsade vertébrée de marches mille et mille fois domestiquées, chêne doucement incurvé par le long travail de tous ces pieds lourds despoirs, de joies, secrets, deuils, vies rêvées.
Mes ancêtres descalier, les gens de service de Monsieur de Sully, cuisinières, lavandières, valets, palefreniers des écuries devenues spa ont laissé place aux âpres manouvriers et frustres commerçants qui, avant dêtre eux-mêmes terrorisés piquèrent peut-être quelques têtes daristos, puis seffacèrent sous la venue dartisans bonapartistes, libéraux ou communards, partisans républicains ou pétainistes, soldats allemands, juifs cachés dans les greniers, guerres, paix, patriotes gaullistes, petites mains du sentier affairées aux textiles, classe moyenne mitterrandienne puis bourgeoisie bohême.
Cest leffroi de cette grosse tâche de bois clair, aux angles impeccablement coupés par le menuisier-prothésiste qui opéra hier à défigurer irrémédiablement son auguste silhouette entre le premier et le deuxième, cest cette meurtrissure définitive qui me détourne maintenant dun utilitarisme quotidien et me fait considérer sa matière et sa patine comme chose quasi charnelle, afin que je noublie pas, mon vieil escalier, que ton éternité est chimérique, et ta fin ainsi que la mienne, celle de toute chose comme de toute mémoire.
↧