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un "refusant" par Coucou c est ginou

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Si, ce bouquin m'a intéressée. Pas emballée, et même un peu ennuyée au début, mais intéressée, vraiment. Hal Treherne, le héros des "Petites guerres" est un "refusant". "les REFUSANTS, Comment refuse-t-on de devenir un exécuteur", c'est un ouvrage de Philippe Breton qui s'intéresse à ceux dont on ne parle jamais — ainsi dans l'expérience bien connue de Milgram, sur la soumission à l'autorité, dont toute l'interprétation est focalisée sur ceux qui se soumettent. "Et les autres ?", s'interroge Breton. Pas les "résistants", pas ceux qui rentrent dans la situation déjà armés d'un refus, d'une idéologie, non, ceux qui sont saisis par le refus contre leur gré, pris d'une impossibilité ("On ne fait pas ça aux gens"). Ceux-là (Breton va les chercher dans l'armée allemande sur le front de l'Est, dans la "guerre sans nom" d'Algérie ou dans le génocide Rwandais), pour le dire de façon lapidaire, ils sont viscéralement non-violents : non seulement parce que la brutalité les répugne (Breton montre que c'est aussi vrai pour les exécuteurs, bien plus souvent qu'on ne croit), mais parce qu'ils n'adhèrent pas à l'idée que cette brutalité est légitime (Pour Breton, cette légitimité est portée, explicitement ou non, par l'idée de revanche, de vengeance. On sait bien d'ailleurs comment, pendant la guerre d'Algérie, les appelés du contingent étaient mis en condition : quand un de tes potes a été tué et mutilé dans une embuscade, l'ennemi devient un barbare tu te laisses plus facilement embarquer dans ta propre barbarie..) Hal Treherne est un "refusant" : militaire de carrière rien ne le disposait vraiment à ça. Le roman décrit l'émergence de ce refus, confus d'abord, presque animal, jusqu'à la décision, ferme, et muette — dans son bouquin Breton évoque ça, ce silence des "refusants", comme ils refusent, aussi, de s'expliquer sur leur acte, ou à peine. J'ai dit "le héros". Il y a bien quelques passages centrés sur le point vue subjectif de sa femme, Clara, mais le ressort de l'intrigue, c'est son histoire à lui, celle de son refus, même si son amour pour Clara y joue un rôle central — propos original, car dans l'essai de Breton comme ailleurs (je pense aux films sur la guerre d'Algérie, par exemple) les hommes sont généralement appréhendés dans un corps à corps personnel, solitaire, avec la guerre. Sadie Jones (pour le coup ce n'est pas indifférent que l'auteur des petites guerres soit une femme) nous montre les effets de la guerre sur leur amour, les effets de cet amour sur son engagement militaire, et c'est peut-être un point de vue qui manque à Breton : peut-être faut-il, pour devenir "refusant", être ancré dans une relation qui vous empêche de vous identifier totalement à votre rôle de militaire — avoir dans sa vie un "ailleurs que la guerre", consistant. Dans l'Allemagne nazie comme dans le Chili de Pinochet, on sait qu'il y a eu des bourreaux considérés comme "bons époux et bons pères". Ça ne peut donc pas suffire, bien sûr. Mais Hal Treherne n'est pas "bon époux bon père", pas une image d'épinal, il est aimant et maladroit, proche et séparé, sa tendresse ne l'immunise pas contre l'incompréhension, la brutalité même. Cet amour n'est pas un récit à l'eau de rose, mais une vraie relation. Peut-être aussi faut-il avoir, plus encore que de "l'humanité", une sorte de rapport au monde charnel, animal. Être sensible au corps de l'autre autant qu'à son statut social, être bouleversé par l'image d'un cheval mort dans un attentat, être capable de ressentir la douleur et la jeunesse d'un prisonnier torturé hors de toute considération sur les raisons, les justifications, les pour-et-contre. Hal Tréherne, dont le moins qu'on puisse dire est qu'il n'est pas décrit comme un grand sensuel et qu'il semble plutôt engoncé dans une éducation plus portée sur la morale que sur la sensibilité, a pourtant, ténue, discrète, mais solide, cette empathie pour le vivant, le palpitant et le doux — chez sa femme, chez ses petites filles. Quelque chose qui insiste, qui tiendra bon, sur quoi se fracassera, pour finir, tout son engagement, toute sa loyauté de militaire. Loyauté fracassée, mais toujours présente : le refusant se tait, aucun discours ne saurait recoller les morceaux. Pas emballée, j'ai dit ? C'est qu'au fond la forme romanesque ne m'a pas convaincue. L'intériorité des personnages est un peu plate, je ne suis pas sûre que ça relève simplement de "l'understatement" britannique : cet homme de trente ans semble neuf comme un gamin de dix ans (et encore…), ne porte pas trace d'expériences passées de conflits, d'incertitudes, de bouleversement. Manque d'épaisseur : j'ai eu du mal à y croire, à m'intéresser à lui. Décrit de l'extérieur, dans une forme plus documentaire, il aurait peut-être eu plus de force — on aurait pu lui prêter cette complexité humaine que le roman ne parvient pas vraiment à installer. Or d'évidence l'auteure s'est appuyée sur un solide travail d'investigation. Le choix du roman, d'une forme d'écriture assez conventionnelle, écrase un peu, il me semble, cette richesse (qu'on pressent) du travail en amont, du matériau recueilli, de la réflexion de l'auteure et des nombreux témoignages qu'elle a recueillis. Au fond, je crois que le "making off" de son roman m'aurait bien plus passionnée. Car de toute évidence elle apporte à cette question, grave et qui nous a tous traversés un jour ou l'autre — où sont les forces, les ancrages, qui permettent de ne pas se laisser prendre à l'engrenage de la barbarie, où pourrais-je les trouver, si j'y étais confronté ? — un regard informé et original, dont j'aurais aimé qu'elle nous donne à comprendre le foisonnement, à accompagner le cheminement.

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