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Ginette botte en touche* par Coucou c est ginou

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Dédé l'embrouille était un type pas catholique. Un iconoclaste de comptoir, un pourfendeur de bienpensence, et sa schnouffe à lui c'était de réveiller les conversations de caf'com en leur plantant dans le gras un petit coup de surin en loucedé, de leur exploser le consensus, de leur éparpiller le politiquement correct, et bien rare s'y en avait pas un ou deux alors pour se rectifier le portrait ou s'agonir d'épithètes péremptoires et définitifs ; et là, Dédé l'embrouille il se marrait, rallumait la cibiche mourante qui lui avait méchamment roussi la moustache, et comptait les points. Ça plaisait pas. Surtout que pendant ce temps, la main baladeuse et la cravate frémissante, il manifestait son intérêt sentimental à quelque habituée du rade qui la trouvait un peu saumâtre, vu que le Dédé, d'une main il te pelotait le cul et de l'autre il te mettait les nerf en pelote en te contestant l'opinion. C'était pas jouer franc jeu, merde. Pour ce qui est de pas jouer franc jeu, y jouait franchement pas franc : car, pire que tout, c'était un interlope du pseudo, un roi de l'entourloupe identitaire, un margoulin du blase, un faussaire impénitent — ce qui en défrisait certain(e)s et lui fournissait quelques jouissives occasions de semer le ouaille en jouant à pas vu pas pris, de foutre le boxon dans le bastringue en se défilant dès que ça commençait à sentir le roussi, et surtout de déployer tout son talent, de la gentillesse désarmante à la drague lourdingue, de la jactance affuté aux pitoyables esquives de baltringue, des lueurs de génie foldingue aux radotages narcisso-cradingues, bref tout le répertoire qui fleurit au comptoir à l'heure de l'apéro ou pas mal de verres plus tard. Lui arrivait même de se pointer en mémère, en chaisière, en rombière, et comble de la mécréance de verser de l'eau bénite dans son vinaigre. Ça énervait. Mais pas tout le monde. Ginette, elle n'hésitait pas à l'affirmer haut et fort en levant son verre de vinzelle à la santé de Dédé l'arsouille (wé c'est comme ça qu'elle l'avait baptisé, elle, et c'était plutôt amical. "Mon arsouille", c'est comme ça que l'appelait son daron dans la phase sentimentale, avant que le verre de trop le fasse basculer dans la biture hargneuse), Ginette, elle le trouvait globalement salutaire, et elle s'en tapait qu'on la joue concombre masqué, ça lui en touchait une sans faire bouger l'autre… - tu me fais marrer avec tes expressions à la noix, t'en as pas, ça t'en touche aucune ! C'était le Dédé lui-même, toujours prompt à refuser l'absolution des chaisières, qui l'interbolisait pète sec, la moustache en bataille. - d'abord là, expressions AUX noix t'aurais dû dire, à partir de deux on pluralise. Puis quoi, j'en ai pas ? Y a pas que les roubignoles qui vont par paires, j'ai d'autres bricoles à toucher, eh, gros malin! Et ce disant, elle lui avait chopé la main et se l'était collée sur une loche avant même qu'il ait pu comprendre ce qu'elle faisait. Le pire c'est que, soudain le neurone un brin débranché, il l'avait laissée, sa louche, sur la loche de Ginette qu'il paluchait vigoureusement sans s'en rendre compte. - et t'as vu, dit-elle en se marrant, difficile de pas faire bouger l'autre, hein ? Faut bien avouer qu'à nonante largement passées, les obus de ses vingt ans avait pris un peu de plomb dans l'aile et qu'ils avaient tendance à chalouper sous l'assaut. La quasi centenaire n'en avait cure, elle sirotait son vinzelle en rigolant, et nous on commençait à trouver l'ambiance intéressante. Dédé s'interloqua quelque peu de l'appétence de sa main, et pour masquer une rougeur subite (faites rimer comme il vous convient), "ben moi tu mes les brise avec tes allusions", qu'il rétorqua l'air mauvais "c'est facile de prétendre, mais si ça se trouve, hein, à part comme moi par inadvertance, on doit pas te les remuer souvent, hein, hein ?" C'est vrai, quoi, il avait au moins l'honnêteté, lui, d'avouer à demi mots qu'il se la mettait sous le bras plus souvent qu'à son tour, pourquoi tu crois que je suis là à écouter vos conneries ? Personne moufta, on était au dessus de ces viles agressions, on s'intéressait. On fit taire une mesquine qui cherchait à renchérir, rapport à l'âge. Si on commence à se lancer nos piges à la figure, y en des qui auront du mal à se baisser vite et souple pour échapper aux projectiles. Le Dédé semblait tenir son embrouille. -Et toi hein ? Si t'en avait tant à raconter tu serais pas là à le raconter ! - ah me pousse pas, si j'attaque sur mes exploits tu peux prendre un abonnement jaja, et pour deux, ça va me donner soif. Aligne donc le grisbi, p'tit con ! - Si si, j'te pousse, j'te pousse, vazy franco sur tes exploits, et mézy tout ç'qu'y faut, des fluides et des humeurs, des tendons et de la sueur, et fais pas ton intello, hein, si je raque, je veux du cuir et du cul, pas du peep-show, du vécu !!! Chiche ! Puis pour pas avoir l'air, quand même (on était tous suspendus à la scène, vidant nos verres pour être prêts quand le patron servirait la première tournée), il embraya sur une vacherie ("donne voir comme tu te ramasses !") et posa ses conditions : - Tu retires ton "p'tit con", je sors l'oseille. - Oh, ça va, te formalise pas, p'tit con c'est gentil, j'te souligne, et du point de vue métaphorique.. - C'est pas une métaphore, c'est une synecdoque, et par antinomie de surcroit. Je t'ai connue plus affutée… - T'as pas tort, mais cherche pas à m'embrouiller. J'ai pas fini sur le p'tit con, je te signale c'est sexuellement plutôt favorable, alors que si je te traitais de p'tite bite… - Tu t'intéresses à la taille toi maintenant ? Je te croyais au dessus de ces contingences ? - Uno, jamais au dessus des con-tingences, ça serait du gâchis. Deuzio, vu ma taille, celle de mes extrémités et de mes intimités, t'as pas tort au moins sur un point : j'en ai jamais connues de trop petites pour me susciter. Elle marqua un temps de réflexion. Dédé sortit un biffeton de son larfeuille. On retenait notre souffle. - Une trop grosse, une fois, ce qui limitait son champs d'application, comme quoi je sais pas si le mieux est l'ennemi du bien mais le plus peut-être celui du bon. Et tertio, continua-t-elle, pendant qu'on commençait, autour, à chanter sur l'air des lampions ("tes exploits ! tes exploits !"), tertio… - Allez Ginette, joue nous le grand air, allume nous le lampion, mets nous le géranium à la fenêtre, fais nous bander, fais nous mouiller! On commençais à s'exciter un peu, faut dire que depuis quelque temps nos soirées baignaient dans l'eau bénite, le dolorisme compassionnel, la charité et je t'en passe, et ça turgescait pas derche du côté rubrique érotique… - Tertio… mais si je dis ça, je casse mon image ! Ça serait dommage à mon âge… On rigola tous. Depuis le temps qu'elle nous en laissait supposer, on voyait pas bien ce qu'elle pourrait casser, à part nos burnes si elle continuait à faire sa mijaurée. Elle continua. Qu'est-ce qui lui prenait ? On commençait à rigoler jaune. Dédé tenait fermement son talbin, le patron sa boutanche, nous nos verres vides. C'est alors que Cétémieuzavant tenta le tout pour le tout. L'ancêtre se mêlait peu à nos conversations, mais n'en perdait pas une miette. Pour une fois qu'une jeunette (mais non, je lapsuce pas, jeu et pas Gi, à cause qu'icelle aurait pu largement être sa môme, vu l'âge post-jeannecalmentesque du fossile), pour une fois qu'une encore verte allait strip-teaser un peu, fût-ce du laïus, il voulait louper ça. "Madame Ginette", qu'il déclama d'une voix chevrottante, "Chère petite madame, je me flatte de n'être pas tout à fait démuni et de posséder quelques menus avoirs, tant mobiliers qu'immobiliers, qui pourraient faire l'objet d'un legs disons, appréciable, pour une comme vous susceptible d'en jouir quelques temps après ma disparition…" Ginette le fixait, réprobatrice, craignant le pire. On reniflait l'esclandre. Il allait quand même pas prétendre, avec son héritage ? La Ginette se targuait d'être une salope, mais s'il fallait faire la pute, déclarait-elle sans qu'on la pousse trop, s'il fallait la pute elle préférait les passes au mariage !!! - Foin de circonlocutions, ma chère : si vous daignez raconter vos exploits, je vous couche sur mon testament. Ouf. Si c'était que sur son testament… on reprenait espoir. Ginette tendit son verre au patron, silencieuse, pensive. Ça carburait sec sous sa perruque, il semblait. "Ouiménon", qu'elle finit par lâcher, d'une voix douce. "Même si je voulais, je pourrais pas. (mouvements de protestation incrédules, qu'elle fit cesser d'un sourire en coin). C'est pas les fluides et les humeurs qui manquent, mais d'exploit, nib, pas trace, pas la queue d'un (d'exploit, je veux dire, hein). "C'est pas que je sois pas chiche, mais tourne que je te retourne mes poches, que je fouille dans ma mémoire, que je rameute mes souvenirs qui me font des trucs partout, et même ceux qui me font plus rien mais que quand même je me les suis pas toujours rappelés impavide, dans tout ça rien pour défrayer la chronique, rien à monter en épingle, rien pour vous titiller les portugaises, rien à porter au pinacle !" "Pas de records, pas de performances, pas de palmarès. Eux, peut-être, parfois, faudrait leur demander, mais moi, mesurer, hiérarchiser, compter, comparer, lancer le chrono quand je commence à planer, compter les contractions, les giclées, les plateaux, les coups, les partenaires que sais-je, décerner des médailles au coït le plus ci ou ça, ah vrai, rien que d'y penser ça me la coupe ! "Bon, m'arrive bien de poser un jugement, mais je vais vous décevoir : seulement en cas de fiasco, de fiasco incontestable, et partagé. Le fiasco à y bien réfléchir (elle sirote deux trois gorgées) c'est le seul truc qui se prête à la toise. Et encore, faut que tout participe : il bandait pas ou c'est à peine si on a eu le temps de s'en apercevoir, je suis restée sèche comme la madone, on a commencé de mauvais poil, continué sans que le poil s'améliore, terminé horripilés. Bon, alors là, c'est le fiasco indéniable, et oui, j'ai connu ça aussi. Pas beaucoup, faut pas pousser mémé. " "Mais pour le reste, pour le bon, le délicieux, le jouissif, l'extatique même, mégotons pas, où est l'exploit ? C'est une chance, une grâce, un miracle, mais… où est l'exploit ? Ousqu'on peut dégoter matières à se faire mousser, quand ça daigne vous tomber entre les mains (ou ailleurs) ? "D'ailleurs, rien même d'exceptionnel : de l'ordinaire, du banal, genre le goût du bricheton, le tout venant, la baise de proximité. "Du trouble, des mains, des mains nues (un gant, parfois), parfois des jarretelles, des bas résille (le trouble d'un bas sur une jambe d'homme, d'une bouche d'homme à la lisère d'un bas), des sexy dentelles, des talons aiguilles (tout ce qu'on peut inventer avec un escarpin), mais d'exploit, aucun, rien pour donner la fanfare ni faire sonner les trompettes, rien à ériger en haut fait, rien d'exploitable. "Quelques fantasmes, pour sûr, les miens, les leurs, des fantaisies, mais pour les prouesses répertoriées X, je m'aligne pas, que des trucs d'amateurs, des fantaisies, je vous dis. D'exquises et minuscules témérités, mais vous savez quoi ? Jouir n'est pas proportionnel. Aux audaces. "Que de l'ordinaire, de la peau, des odeurs, des gestes, des voix, des regards… ah oui de la peau d'homme (de femme, parfois), d'homme surtout, joues rêches, pines soyeuses, moiteurs intimes, mains calleuses, cuisses douces, tiédeur, frôlements, peau contre peau, glissant, claquant, collant un peu, mouillant, frissonnant, du vivant sous la caresse, des trucs comme ça, qui vont pas tellement vous allumer le lampion, ou alors de loin et peut-être un peu faiblard. "De l'intime, du fugace, du qui perd ses couleurs en pleine lumière, du parfum qu'échappe au vocabulaire, du contingent, du personnel, un foutre de sainfoin, un autre de pâte crue, un soupçon d'amertume, d'iode, est-ce que je sais ? Pas l'ombre d'un exploit — respirer, renifler, goûter, lécher, tous mes exploits se résument à ça : aimer le pain, saliver." "Mais l'exploit ? Vrai, je sais pas ce que c'est. Rien à raconter." Et ça semblait la rendre plutôt jouasse, d'avoir rien de plus à nous bonnir. Elle se roulait une clope en souriant aux anges. Elle a fait signe au vioque : "avez-vous du feu ?" "Alors l'arsouille", elle a lancé à Dédé, "l'ai-je bien dégringolé ?" Et à nous : "je vous offre un verre ?" et elle a sorti son pèze pour payer la tournée. Il ne lui restait plus qu'à dire adieu à l'héritage. * toute ressemblance etc.

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