Chère Lise,
Je sais, il y a trop longtemps que je ne t'ai donné de mes nouvelles, « belle lurette » dirais tu sans doute avec ton air gourmand pour les expressions qui t'amusent dans notre langue.
Mais aujourd'hui, j'ai un besoin impérieux de t'écrire pour te raconter ma mésaventure.
Tu sais comme j'ai le sommeil léger et l'ouïe fine. Il y a quelques nuits, j'ai été réveillée en sursaut par quelques bruits étranges plutôt étouffés que j'étais incapable d'identifier.
Je suis descendue avec précaution jusqu'au séjour et là, première surprise, la porte opposait quelques résistances à ma poussée, un bourrelet de tissu avait été disposé avec soin en bas de celle-ci.
Par l'entrebâillement de la porte, j'aperçus l'auréole d'une lampe torche qui furetait sur les meubles.
Elle s'est arrêtée un instant sur le tableau que tu aimes tant, cette jeune fille nue, nymphe aux larges aréoles, comme surprise par l'artiste au sortir de la baignade, et qu'il a peint bien avant que ne naisse la culture naturiste appréciée par certains de tes compatriotes.
Puis le faisceau lumineux s'est déplacé vers la bécasse qui trône sur le guéridon, volatile trouvé gelé l'hiver dernier et qui semble maintenant prêt à s'envoler, immortalisé par mon ami naturaliste. La lampe a eu comme un hoquet de surprise en la découvrant avant de s'éloigner vers la cuisine.
J'ai entendu le bruit d'un placard que l'on ouvre, je ne me sentais capable ni de crier, ni d'effectuer le moindre geste. Quand j'ai entendu la porte de la cuisine s'ouvrir sur l'extérieur, je suis sortie de ma stupeur et me suis précipitée derrière mon intrus. Je n'ai eu que le temps d'apercevoir la silhouette de ma voisine s'engouffrer dans sa maison. Cette femme qui m'a toujours semblé d'une constitution fragile à croire que sa lymphe circule au ralenti venait de se servir à sa convenance dans mon garde manger.
Elle n'est pourtant aucunement en manque de quoi que ce soit, je peux te l'assurer, son logis est bourré des meilleures victuailles que tu puisses imaginer à croire qu'elle envisage de tenir un siège.
Chère Lise, figure toi que cette scène s'est reproduite plusieurs fois depuis cette première nuit.
Je ne sais plus quoi faire, moi qui ai plutôt un tempérament gai luron, j'ai perdu tout entrain.
Pourrais tu en parler à ton compatriote, ce Monsieur Freud que tu as eu la chance d'approcher dans ton exil londonien et dont tu m'as parlé avec enthousiasme ?
J'attends ta réponse et t'embrasse tendrement.
Ton amie.
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