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La Béarnaise par Annaconte

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Il est temps de se parler. Le torchon brûle entre nous et il y a de l’eau dans le gaz. C’est vrai nous nous sommes éloignés. Il y a belle lurette que je ne suis plus trop ce gai luron que vous aviez choisi. Sélectionné entre tous. Je suis entré chez vous comme on entre en religion. Dès l’aurore et jusqu’au soir, j’entretenais les braises, et pour vous servir composais minutieusement des natures mortes, des empilements de coquillages, des veloutés de fleurs, tel un artiste je reculais parfois d’un pas pour juger de mon œuvre et vous n’hésitiez pas alors à me décerner une auréole, tant vous étiez conquise par tant de saveurs, d’odeurs et de parfums, tant vous étiez séduite par ces couleurs éclaboussées, que vous léchiez en riant du bout de votre langue, avec cet air de ne pas y toucher, pendant que j’imaginais confus la pointe douce de vos aréoles roses frôlant mon bras tout près de vous. Nous eûmes des périodes asiatiques, des périodes nordiques, des périodes naturalistes, des périodes classiques, des évasions campagnardes, des inventions sublimes, des découvertes éblouissantes ! La bouche en feu, la sueur sur le front, vous accueilliez -sans une pensée alors pour vos bourrelets honnis-, avec délices et ravissement mes offrandes raffinées et les témoignages de ma réelle passion pour vous. Nous aimions tous deux changer de style, de gouts, de couleurs, de gestes même. Vous n’étiez pas la dernière à vouloir inventer ! Nous eûmes aussi d’autres moments… précieux…de longues plages de temps.. naturistes….Nous errions nus et transpirants de fièvre sur des mers de verdure, de feuilles d’ortie, de ciboulette et d’origan ! Nous saupoudrions tout de coriandre, gingembre, carvi, cumin, cannelle, curry et les senteurs lourdes des épices soulevaient jusqu’à vos cuisses offertes et nous emportaient ivres –et moi plus bourré encore que jamais- au bout de la nuit chaude de l’été. Je rêvais de votre corps léger de nymphe plongé dans des rivières de lymphe brillante et nacrée, je crois que je devenais fou ! Mais soudain la sauce a tourné. Elle s’est tout simplement séparée en petits grumeaux, comme si le beurre se clarifiait sous nos yeux horrifiés, abandonnant de ci de là des particules de jaune d’œuf. Alors on s’est précipité pour la rattraper, on s’est agité, on a versé goutte à goutte en fouettant vigoureusement, on a touillé, touillé avec une cuillère de bois, hélas, c’était trop tard, nous n’avons rien pu faire ! »Je vais tout vous dire. La béarnaise c’est une question de tact. Il faut avoir deux casseroles. Une petite et une grande, pour le bain-marie et un fouet. » Vous n’avez pas voulu m’écouter. Vous avez voulu faire à votre manière ! Dans une des casseroles on met le vinaigre, les herbes et quelques grains de poivre écrasés. On fait bouillir. C’est seulement ensuite qu’intervient la seconde casserole ! là vous avez voulu décider d’entreprendre et en solo –à la mode de votre chère maman soit-disant- une recette de famille ! et à la phase capitale de l’histoire vous avez rompu l’équilibre ! vous avez tout gâché ! Imaginez ! Vous avez gâté la belle régionale dont je voulais vous régaler une fois encore, et par votre faute et votre outrecuidance, vous me voyez déçu, désappointé et contraint à quitter mes fonctions auprès de votre maison. Car il va de soi que s’il faut bien deux casseroles pour la sauce béarnaise, un seul chef en cuisine suffit. Inutile donc demain de me réveiller comme ce matin vous le fites, et les autres matins, ma chambre sera vide et mon lit défait. Les plaisirs ont un temps. Je ne me lèverai plus au milieu de la nuit pour faire la vaisselle restée du soir, en prenant grand soin de ne pas vous éveiller, en évitant de brusquer les verres de cristal ! Je ne suis pas ingrat, je vous laisse en partant un livre de recettes, bon outil de travail, précis et facile à consulter au dernier moment quand la sauce attrape, ou que des invités s’annoncent par surprise. Il est truffé de mes notes personnelles et de petites astuces, de croquis croquignolets et de souvenirs culinaires très particuliers, que vous reconnaitrez sans doute, ce qui en fait un ouvrage des plus romanesques. Vous l’apprécierez j’en suis sûr … Vous pourrez toujours me joindre, car je reste votre dévoué, sur Marmiton.com

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