Deux ou trois canards pour amuser la vieille qui leurs balance du pain. Un pigeon qui roucoule en boucle au milieu d'une allée. C'est à peu près tout ce qu'on trouve comme volaille dans ce coin du parc.
A part lui bien entendu.
Lui et son petit corps dodu à force d'oisiveté.
Lui et ses ailes ridicules qu'il hérisse en s'ébrouant comme un moineau mouillé.
Balloté sur sa branche par le vent, Cupidon le regard perdu vers l'horizon se morfond.
Elle est bien loin la belle époque!
Celle où il traquait les soupirants en extase aux pieds des bergères affolées.
Révolus les glorieux tableaux de chasse où s'étalaient des greluches aux sourires niais pendues au bras de grands dadais aux prévenances fébriles.
Dépassé les béatitudes plantureuses qui se pâmaient sous la morsure de ses flèches en soupirant des «Je t'aime» bouleversants.
Désormais la seule viande amoureuse qui se pâme dans son sillage c'est ce con de ramier qui pigeonne dans l'allée.
D'un oeil terne il contemple son terrain de jeu. Une pelouse, trois allées et un petit bassin.
Et un cruel déficit en gibier de coeur.
Huit bancs dans ce jardin public. La plupart ne servant plus qu'à recueillir l'ombre de vieux croutons venus là pour dorloter leur passé décoloré.
Ici et là quelques jeunesses pourtant se prélassent sur le gazon.
Mais pas touche... Espèces protégées... S'abstenir !
Là c'est un père qui s'attendrit devant les premiers pas de ce celui qui incarne désormais son coup de bite le plus prodigieux.
Plus loin c'est une ancienne cliente. Visage déjà bouffi de cette vie qu'elle trimballe dans son ventre. De sa flèche impitoyable elle n'a gardé qu'une cicatrice qui la fait marcher en canard.
Justement parlons-en des canards!
Et de dépit notre pauvre idole décoche son tir dans le croupion de l'un des palmipèdes, qui sur le champ s'en va ébouriffer, à grands coups de « coincoin », celui de notre pigeon roucouleur.
Tournant le dos à cette navrante image, Cupidon se remet au boulot.
Vers les fenêtres de la ville, il s'en va une fois de plus tenter sa chance.
Le ventre au raz des marronniers, il peste contre les kilos en trop et mouline des ailes comme un beau diable.
Lui, le petit Dieu des Amours, ressembler à une vulgaire poule! C'est rageant.
Derrière les vitres ils sont tous là. Figés comme des zombis devant l'invention diabolique. Concurrence déloyale, parait que c'est le progrès !
Comme de grosses mouche grisées par la lumière bleuâtre de leur petit écran, ils s'excitent comme des puces en galopant du bout des doigts sur la machine infernale.
Le mal est partout. Rien n'y fait. Il a tout essayé. De ses pauvres flèches rouillées, il est tout juste parvenu à faire sauter quelques touches des satanés claviers.
Le mois dernier il a aussi explosé deux ou trois exemplaires de ces maudites souris de plastique, et écorné quelques écrans... piètre bilan.
Le pire c'est lorsqu'ils quittent brutalement leurs instruments en claquant la porte derrière eux. Avec un sourire étrange ils se mettent à courir jusqu'au bout de la ville.
Et là-bas derrière une autre porte, se trouvent un autre écran et un inconnu tout aussi mal en point !
Pour Cupidon le pire est à venir; Le malheureux n'a pas encore eu le temps de bander son arc magique, que ses clients se sont déjà mélangés dans le corridor, emboités dans le salon et accouplés sous les draps....
La nuit lorsqu'il s'en va rejoindre sa gouttière au cinquième, bien au chaud entre deux ou trois pigeons, Cupidon fait toujours le même rêve.
Un flingue à la place de son arc.
Un flingue pour exploser cette putain d'invention. Balancer du plomb dans tous les écrans... et renvoyer cette smala de pseudo user leurs pompes sur les trottoirs de la ville...
Pour trouver chaussure à son pied, on rien trouvé de mieux... Surtout quand Cupidon canarde dans le quartier...
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