A côté de toi, dans la chambre, il y avait un lit inoccupé. Alors comme nous étions seules, je me suis étendue sur le lit vide et jai essayé de timiter pour voir ce que ça faisait, d'être si près de mourir.
Jai ouvert la bouche, jai essayé de retourner mes yeux loin dans mes paupières et jai commencé à râler comme toi.
Même là, à ce moment là, jai eu envie dimaginer ce que cétait dexpirer, quand ça dure, quand la mort tarde à venir, je me demandais ce quelle attendait, je me disais quelle sétait peut être perdue en chemin, quelle navait pas de GPS, même pas une vieille carte pourrie, quelle te cherchait je ne sais où.
Ou bien quelle sétait arrêtée pour soffrir quelques fantaisies, histoire de se choper un ou deux imprévus au passage
Cest pour ça quil fallait bien que jimagine des choses.
« tu as toujours tout imaginé dans ta vie, même ta vie, tu n'as jamais eu aucun sens des réalités ».
Bin oui. Il faut dire que ça a duré sept heures cette affaire entre toi et moi. Que je ne pouvais quand même pas te regarder droit dans les yeux en te racontant des conneries du genre "tu vas t'en sortir", "allez, courage", enfin tous ces trucs débiles qu'on raconte quand on croit sans doute avec le sens des réalités.
Toi et moi avons un passif qui mérite bien mieux que ça.
J'ai sorti la liste des choses que j'avais à faire pour te la lire, mais dessus il y avait juste écrit que je n'avais rien d'autre à faire que rester là.
Alors j'ai inventé des listes de courses, et puis après des listes de souvenirs, et puis après je t'ai décrit les nuages, puis je t'ai lu les plaques d'immatriculation des voitures garées dans le parking sous ta fenêtre, puis eureka, il y avait un gros chantier en construction avec des tracto pelles et des grosses machines partout, alors je t'ai raconté ce qu'ils étaient en train de faire, de tout changer, de faire émerger des nouvelles constructions, des nouveaux mondes, qu'il fallait toujours que partout ça casse, ça retape, ça change, ça creuse, ça fasse des murs, des nouveaux espaces fermés, des villes, des concentrations, des pôles, enfin je ne sais plus très bien, je crois aussi que je suis quand même souvent allée voir l'interne parce qu'il était vraiment beau et que c'est à lui que j'ai demandé qu'on te donne de la morphine.
Je trouvais que c'était bien qu'un homme si beau t'accompagne (et moi par la même occasion, je n'ai peut être jamais eu le sens des réalités, mais lorsqu'il s'agit de choper la beauté quand elle passe, je n'ai jamais perdu le nord)
Bon, pour ma peau douce, maintenant je sais doù elle vient, jai touché ta peau pour la première fois depuis que jai dépassé lâge de la têtée, autant dire un bail. Au moins ça c'est fait.
Ensuite, quand tu es morte il a fallu aller te chercher des habits.
On tas mis des chaussures de marche parce quon na pas trouvé de chaussures de dame. Pas des godillots hein, des sandales genre vieux campeur mais je crois qu'ils t'ont laissée pieds nus, pour finir.
Avec la chemise blanche et la jupe mexicaine, je te jure quon naurait jamais dit quelle allait te retrouver, l'autre carne en train de farfouiller dans ses vieux plans pour savoir où tu étais allée te planquer pour l'attendre.
Sinon cétait bien. Il y avait du café sans arrêt, et puis tout le monde pleurait comme dans les films.
Tu es morte avec élégance. Et je reconnais que j'ai quand même été scotchée. T'es morte tout comme t'avait dit.
Et je me demande, au fond, si mourir n'est pas une chose à apprendre, et pas seulement dans les livres et dans les poèmes. Je vais y réfléchir.
Chô, Mam
"J'ai franchi je ne sais quel mur du son, mais moi seul ai entendu l'explosion". Leiris, de mémoire.
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