Que faisais-je il y a 6 ans à la même heure?
Ou il y a 20 ans ?
Ou Bien 40 ans ?
En tout cas il y a 53 ans je grandissais dans le sein de ma mère.
Il y a 53 ans je rejoignais la tribu des «lustucrus» comme aimait nous appeler notre Père. Sacrée tribu, drôles d'indigènes, quatre surs m'attendaient et mes trois frères espéraient fortement que j'allais équilibrer la parité, loupé, c'est une frangine, la petite dernière la chouchoute, le cauchemar de celle qui était la dernière depuis cinq ans, elle me l'a bien fait payer,,,,
On habitait au cinquième sans ascenseur, et cela ne gênait personne, les parents faisaient les courses au marché, ce n'étaient que légumes et viandes des producteurs, le lait était livré dans ses bouteilles de verre, Maman faisait les yaourts, les crèmes tout ce qui était bon pour sa nichée.
Les conserves étaient maison, on ne se posait pas de question sur le goût de l'eau, sur l'origine de la viande et autres denrées alimentaires quotidiennes. C'était dur certes, mais c'était vivre tout simplement, puis petit à petit on a perdu ce quotidien; les berlingots (ancêtres des tétras packs) ont remplacé les bouteilles de lait en verre, on achète les légumes sous vide, les yaourts pas douze en pot plastique, avec de vagues parfums plus ou moins chimiques, des fruits qui n'ont jamais vu un arbre, des poulets sans bec, des ufs en bidons et j'en passe!!
On est tellement conditionné dans cette vie structurée que l' on devient stériles!
Stériles d'amour, de douceur, de complicité, de sentiments simples, de bonheurs jolis!
On ne prend plus les chemins de traverses, on préfère les routes droites et uniformément grises, enfilant les kilomètres à bord de notre voiture à qui on accorde tant d'importance que on en oublie juste l'essentiel de ce qui se nomme l'attention aux autres.
Les immeubles sont construits selon les normes, enfin en principe, car les normes c'est vague, ca veut dire quoi? Et puis l'ascenseur fait parti du quotidien quand il est en panne on prend l'escalier sans penser que les voisins du deuxième étage sont âgés, que pour eux les escaliers c'est mission commando et la petite dame du troisième avec son fauteuil, on l'évite des fois qu'elle soit contagieuse, elle a prévenu le syndic' logique, c'est la seule de l'immeuble qui l'a fait, dix jours sans sortir ce fut long, il lui a fallu menacer pour faire avancer les choses.
Dans l'appartement parisien de mes parents, je me sentais à l'abri derrière les grandes fenêtres, les voisins étaient des amis, le quartier un village. Il y avait une solidarité.
Hier soir je suis rentrée de mes courses, en arrivant à mon étage, le sac a craqué et une bouteille a explosé, après plusieurs tentatives de demande d'aide aux voisins, je finis par laisser le chantier, et faire venir ma tierce personne pour nettoyer. Le soir ma porte de frigo me tombait sur les pieds, j'essayais de sonner chez les voisins, que nenni comme toujours terrés chez eux, ne rien dire, surtout ne pas l'aider on ne sait jamais cela pourrait devenir une habitude, pour eux je suis «intouchable» dans le sens surtout ne pas toucher, comme quoi un adjectif peut prendre un autre sens dans un autre monde.
Quand j'étais petite j'avais toujours du monde pour moi pour me porter dans les bras, me pousser sur mon petit vélo rouge pour rouler sans les petites roulettes. Mariée avec mes quatre poussins je recommençais les mêmes gestes d'amour.
Aujourd'hui, je roule seule, avec des petites roulettes, avec au fond de moi la rage, de pousser au delà de mes limites, mais une main qui me piloterait un peu plus loin, un peu plus haut serait la bienvenue car cette traversée du désert qui dure depuis six ans commence à prendre des airs de mélancolie
Il y a cinquante trois ans je m'apprêtais à découvrir le monde, le doux regard de mes parents posé sur moi, les grands yeux de mes frères et surs, l'aventure allait commencer !!
Agnès 8 mars 2012
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