POUR EN FINIR AVEC MICHEL ONFRAY ... ÉPISODE DEUX
Explorer dans le détail les mensonges, les contre-vérités, les spéculations, les allégations qui sont l'unique matière du bouquin onfrayant, est un exercice auquel on doit renoncer, pour plusieurs raisons.
D'abord, si l'on était tenté de convaincre les thuriféraires de notre paparazzi-philosophe qu'il a manqué à sa mission de dévoilement de la Vérité, il est évident que la tâche est impossible, tant leur conviction est fondée sur bien autre chose que la participation à une réflexion honnête et propice à se forger un nouvel avis, fût-il contraire à celui qu'ils avaient en l'entamant. Ils sont venus pour assister à une curée et il n'y a que la vue du sang qui puisse les réjouir.
Ensuite, plonger dans le détail de tous les faits rapportés dans le « prépuce-cule » revient à se comporter comme Michel Onfray, pour finir à quatre pattes, absorbés dans l'observation d'enculages de mouches. Et cela, au mieux, ne peut que mener à devenir un émérite entomologiste sodomite.
Enfin, on doit pouvoir se contenter d'un raisonnement par récurrence, et estimer, comme c'est la cas lors d'un procès, que s'il a menti une fois tout son témoignage en est invalidé. Or nous avons déjà la preuve de plusieurs mensonges et non des moindres
Il est donc temps de quitter les toilettes et la chambre à coucher où notre philosophe de l'inconséquence semble s'épanouir pour tenter de gagner les salles de conférences ou les séminaires où la pensée circule et croît.
Je tiens à préciser quand même que je n'attaque pas ici Michel Onfray, l'homme, ni l'ensemble de son uvre. ( Même si je suis convaincu que son appel à l'hédonisme relève davantage de la protestation d'un adolescent enfermé dans une crise qui ne connaît pas de terme que de la réflexion d'un adulte accompli ) Et, surtout, je ne cherche pas à faire un sort à la philosophie. Bien au contraire, je la tiens pour un exercice de vie indispensable. Et tout me convainc que Onfray n'exerce nullement la philosophie, qu'il la pervertit, l'asservit à ses fantasmes.
Donc, ici, je ne vise que les deux ouvrages qu'il a consacrés à abattre Freud et à disqualifier la psychanalyse, tentant au passage d'instaurer une nouvelle « psychanalyse non-freudienne », ce qui procède autant de l'oxymore que de la plus grande loufoquerie.
Je ne me suis pas immiscé dans la vie de Michel Onfray pour en rapporter des ragots, ce qu'il ne se prive pas de faire pour Freud. C'est une méthode minable, indigne d'un être civilisé et respectueux de ses semblables. En outre, c'est le témoignage qu'il ne dispose pas d'arguments suffisants pour attaquer l'uvre, ce qui le contraint à en discréditer le créateur. Méthode répugnante et ridicule car tout le monde sait bien qu'un génie ne peut pas avoir la vie et les comportements de tout un chacun. On n'accouche pas de chefs-d'uvre en faisant les trois-huit et en restant le nez fixé sur TF1. En plus, il nous jette sans cesse dans les pattes son héros Friedrich Nietzsche, dont la vie, faites d'errances, est loin d'être celle d'un parangon de vertu.
Je ne me suis pas non plus permis de dresser son portrait psychopathologique, ce qui me semble dans tous les cas un abus inqualifiable. Mais lui n'a pas hésité à le faire en ce qui concerne Freud, alors qu'aucune formation, aucun diplôme ne l'y autorise et ne garantit ses conclusions. Il s'agissait, à nouveau, de tenter de discréditer le travail de Freud en le présentant comme un névrosé handicapé par tout un tas de symptômes. Il est vrai que Nietzsche, lui, ne ressortit pas à la névrose. Pour la bonne et simple raison qu'il était rongé par une psychose qui l'a empêché d'exercer son métier de professeur et l'a conduit à l'asile d'aliénés où il a passé les dix dernières années de son existence dans un état quasi végétatif.
Je n'attaque donc pas Monsieur Michel Onfray, ni le reste de son uvre. Je ne m'intéresse qu'à ses deux textes que je considère comme des dérapages. On est en effet très loin d'un exercice raisonnable et serein de la philosophie comme il conviendrait pour aborder un thème aussi important et problématique que la psychanalyse. Je pense que là il a été débordé par quelque chose qu'il n'a pu contenir. Et je me propose d'essayer de comprendre ce qui est à l'origine de cela.
D'emblée on a le sentiment qu'une force terrible pousse de l'intérieur, cherche à le submerger ou à l'entraîner avec elle et qu'il lui faut lui opposer une résistance au moins égale en puissance. Il va s'arque-bouter contre le tsunami qui gronde en lui, avec les moyens qu'il maîtrise le mieux, la culture, l'écriture, la lecture. En même temps le choix de tels outils renseigne certainement sur la nature de ce qui croît, s'attise et s'apprête à l'embarquer car ils doivent en être l'exact contre-pied dans une tentative de renverser le mal en bien. Contre un déferlement pulsionnel, barbare, il faut donc dresser des barrières de mots, d'idées, d'érudition. Et la poussée doit être sacrément forte car les moyens rassemblés contre elle sont gigantesques.
Qu'on en juge. En 2010, il lit les six mille pages que constituent les écrits scientifiques de Freud, écrit « Le crépuscule d'une idole » ( six cents pages ), « Apostille au crépuscule », « Philosopher comme un chien », « Nietzsche, se créer liberté », « La construction du surhomme », participe à l'élaboration de l'édition discographique de ce dernier opus, donne des cours, des interviews, à la télévision, à la radio, dans les médias, signe des chroniques, poursuit son activité d'éditeur,
Ouf!
Fatalement, un tel ras-de-marée rappelle internet, la télévision, les médias ou la pub qui nous bombardent d'images, d'informations, de musiques, de chiffres, et qui finissent par nous empêcher de penser, de pouvoir jamais entrer en nous et de n'en laisser rien sortir.
Je connais une plus belle illustration de cette lutte entre un sentiment qui se manifeste soudain au fond de soi et le refus de l'entendre, qui en arrive même au désir de l'anéantir, c'est le grand air qui conclut le premier acte de La Traviata.
Violetta Valéry est une riche courtisane ( La Traviata, c'est la dévoyée ) qui a de nombreux amants très riches ce qui lui permet de mener une existence frivole, de luxe, de fêtes, dans un étourdissement permanent. Mais ce jour-là, lors d'une réception, un jeune homme, Alfredo Germont, lui a déclaré l'amour qu'il a pour elle.
« Quel amor ch'è palpito
Croce e delizia, delizia al cor. »
Cet amour qui palpite
Croix et délice, délice au cur.
Une fois celui-ci et les invités partis, elle se retrouve seule sur scène et elle chante le trouble qui l'a saisie.
« È strano! È strano!
»
C'est étrange! C'est étrange!
Dans mon cur sont gravés ses mots.
Et elle se prend à rêver qu'elle puisse être aimée vraiment par un homme et qu'elle soit capable d'aimer à son tour. Les doux mots d'Alfredo lui reviennent et c'est elle qui les chante désormais.
« Quel amor ch'è palpito
Croce e delizia, delizia al cor. »
Tendre rêverie, tendre mélodie..
Et puis d'un coup, une rupture soudaine, le songe se brise.
« Folie! Folie! Delirio vano è questo!... »
Folie! Folie! Ce n'est qu'un vain délire.
Pauvre femme solitaire,
Abandonnée au milieu
De ce désert peuplé
Qu'on appelle Paris
Que puis-je donc espérer?
Que faire?
Jouir! ...
Dans les tourbillons du plaisir,
Périr de volupté. Jouir! ...
« Gioir! Gioir!... »
Elle s'étourdit, s'enivre de ce Gioir! qu'elle fait rouler en cascades et en rossignolades dans sa gorge.
Puis elle se lance dans son grand air vif et brillant, affirmant, scandant à la face du monde :
« Sempre libera.. »
Toujours libre, je veux passer de jouissance en jouissance....
Je veux que ma vie s'écoule par les chemins du plaisir....
La voix enfle, monte, monte toujours plus haut, s'enroule dans des ornements, atteint au vertige dans des acrobaties savantes.
Mais soudain, du fond de son cur lui revient la voix d'Alfredo.
« Amor, amor è palpito... »
Il faut qu'il se taise cet appel à l'amour.
« Gioir!
Gioir! ... »
Et les cascades se multiplient.
Pourtant le tendre appel continue
« Croce e delizia, delizia al cor... »
Elle ne chante plus, elle hurle.
« Gioir! Gioir! ... »
Et l'aria sublime s'épuise sur ce cri qui a vaincu la voix de l'amour.
Je ne peux pas aller plus loin sans vous proposer une des plus justes incarnations, si ce n'est la plus juste, de Violetta Valery, Maria Callas ( LA Callas ). Ici en 1952 aux côtés de Giuseppe Di Stefano qui prête sa voix à Alfredo Germont:
http://www.youtube.com/watch?v=QDg_eMTb75Q&feature=related
Mais comme la technique n'est pas tout à fait au rendez-vous, j'y ajoute une autre très grande voix, Joan Sutherland ( La Stupenda ) en 1963 accompagnée de Carlo Bergonzi:
http://www.youtube.com/watch?v=aZPGzy2FYcY
Gioir! Sempre libera! C'est ce qu'on entend partout aujourd'hui, qu'on nous scande sans relâche, qu'on réclame, qu'on exige. Mieux que « liberté, égalité, fraternité », c'est devenu la devise du monde contemporain. « Jouir et être toujours libre! ». Amen!
Et tout ce qu'on nous envoie dans les mirettes et les esgourdes, sur internet, à la télévision, dans les spectacles, poursuivent le même but que les roucoulades vertigineuses de la Traviata, nous étourdir, nous enivrer ( quand l'alcool ou la drogue n'y ajoutent pas ). Nous distraire. Dans ce sens de détourner notre attention.
Ainsi les images violentes, hurlantes, choquantes, n'auraient d'autre but que de nous soustraire à ce qui nous fout les jetons, et que le Traviata perçoit dans le temps où son cur s'ouvre, l'amour qui s'incarne dans les rêves de l'enfant. Un amour qui fait peut-être peur à l'adulte parce qu'il mêle ses parents à ses rêves.
Et ça vaut pour ces grands gaillards tatoués, ces bad boys qui nous balancent « nique ta mère ». Leur agressivité n'est qu'une façon de masquer que ce qui leur fout la trouille, c'est le tendre amour qui les liait à maman.
Michel Onfray n'échappe pas à la règle. Il lutte aussi. Mais au lieu de notes il lance des mots, des milliers de mots de plus en plus vindicatifs et belliqueux.
Et cela donne un livre, « le crépuscule d'une idole », dont on ne comprend pas l'utilité. En effet ce n'est ni une réflexion, ni une recherche de la Vérité, ni la mise en chantier d'une problématique, ni l'analyse d'une uvre. C'est une entreprise d'acharnement malveillant contre un vieil homme, entreprise qui se cristallise dans une manière de numéro spécial d'Ici-Paris consacré à Freud.
Peut-être que pour comprendre il suffit, là encore, de se contenter de regarder la couverture? Le crépuscule d'une idole. Freud n'a jamais été, et n'est toujours pas une idole. Il est le père d'une discipline, l'inventeur d'une méthode, le découvreur d'un univers ignoré, une référence fondatrice. Tout comme Bach, par exemple. Il n'est pas un compositeur qui ne s'y réfère, pas un violoncelliste qui ne joue chaque jour au moins l'une de ses « suites ». Mais personne n'en fait une idole, un dieu. Mendelssohn témoigne bien qu'il n'existe aucune confusion quand il déclare que « s'il y a quelqu'un à qui Dieu doit beaucoup, c'est Bach ».
Les travaux de Freud ( et non le personnage ) sont revisités sans cesse parce qu'ils constituent une uvre considérable où il y a toujours à découvrir. ( Ce que ne cesse de faire Onfray avec Nietzsche. Mais, nous dira-t-il, dans ce cas ce n'est pas pareil. Pourquoi? Parce qu'il vous le dit. ) Il n'y a nulle part chez les héritiers de Freud cette ferveur, cette foi aveugle que l'on rencontre chez les adorateurs d'un dieu ou d'un gourou.
Et même, si l'on réfléchit, un grand nombre de patients qui ont fait une analyse et en ont tiré d'immenses bénéfices, ne connaissaient Freud que de nom et ignoraient tout ou partie de ses théories. Et les malades mentaux, les enfants psychotiques, soignés dans les structures hospitalières, comment peuvent-ils savoir qui est Freud, que peuvent-il comprendre de la psychanalyse? Alors, comment peuvent-ils être victimes d'une hallucination collective comme Onfray le prétend?
Il semble donc que personne ne considère Freud comme une idole.
Personne?
Non, puisque que quelqu'un a choisi de lui donner ce titre divin en couverture d'un de ses livres. Quelqu'un qui, donc, doit le considérer comme un dieu.
Qui? Répondez à cette question dans les trois minutes qui viennent et vous gagnerez le disque de Michel Onfray où, s'accompagnant à la vielle à roue, il chante « l'ode à la joie » de Beethoven.
« FREUDe shöner Götterfunken
Tochter aus Elysium... »
L'impression qui vient quand on constate à quel point il s'est acharné sur le père de la psychanalyse est donc qu'il n'attaque pas, en fait, un Freud idolâtré par de nombreux fidèles, mais qu'il tente de faire taire en lui des sentiments qui pourraient passer pour une vénération quasi religieuse pour lui et qui, fatalement, le dérangent profondément. Il agit comme la Traviata, plus la tendre voix de l'admiration tente de se faire entendre, plus il s'emploie à détruire celui qui la suscite.
Résisterais-je à l'envie de réécrire le grand air de Violetta Valery? Bien sûr que non.
Al-Freudo :
« Accueille avec bonheur les délices de mes propos. Accepte la croix que je t'offre et qui fondrait nos deux convictions dans une uvre commune qui serait notre enfant.. »
Violetta Valonfray ( restée seule sur scène ) :
« È strano!
È strano! ...Je sens mon esprit qui s'ouvre. Accepterais-je enfin mon complexe d'dipe, reconnaîtrais-je finalement ce sentiment puissant qui me lie à mon père?
( Puis, brusquement, envisageant que le chiffre de ses ventes puisse baisser )
Folie!
Folie!
Pauvre philosophe solitaire abandonné au milieu de ce désert peuplé qu'on appelle Caen, que puis-je espérer?
Que faire?
Jouir! ...Jouir!
De toute façon, avec mes potes Diogène et Nietzsche, on en a décidé ainsi : plutôt la veuve poignet que des enfants! ... »
Redevenons sérieux pour constater que Onfray s'est trouvé pris dans un piège, le même que celui dans lequel il a jeté ses lecteurs. S'il réalisait une analyse sincère et honnête de l'uvre de Freud, il prenait le risque de tomber sous le charme, ce qu'il refusait absolument.
Il ne pouvait plus, alors, que dénaturer, non pas l'ouvrage, mais son auteur, pour qu'il perde tout intérêt à ses yeux. Pour y parvenir il n'avait d'autre solution que le recours au mensonge, à la tricherie, à l'affabulation. Écho de la manière dont il se ment à lui-même, triche sur ses sentiments vis-à-vis de Freud.
Dans son « crépuscule d'une idylle » il consacre un chapitre entier aux différentes affections dont souffrait Freud. Et il égrène les migraines, saignements de nez, problèmes intestinaux, défaillances sexuelles, anxiété, allant jusqu'à détailler ses furoncles au scrotum, ses diarrhées ou ses constipations ( Au moins, si on cherche Michel Onfray on sait où le trouver. ). Pas de doute, tout cela fait du père de la psychanalyse un monstre ou un dégénéré incapable d'élaborer une réflexion pertinente!
Et il conclut en empruntant une formule à Nietzsche « Freud à nu, sans masque ; Freud humain, très humain, trop humain... »
Si ce n'est pas une déclaration d'amour!...
En même temps on voit bien ce qu'il lui reproche. Précisément de n'être pas un dieu, de n'être plus le dieu que le père a été pour son fils quand il était petit enfant et qu'il ne retrouve plus des années après au moment où il aurait sans doute besoin d'une telle figure quasi divine pour le guider dans l'existence. ( Rappelons-nous que Onfray a été subjugué par les écrits de Freud quand il était adolescent et que, même, leur lecture a été l'occasion de masturbations )
Pourquoi n'est-il pas possible de retrouver cette image valorisée du père? Peut-être, précisément, parce qu'elle a été trop violemment attaquée, démolie, et qu'il est impossible de la restaurer. Du coup, dans une spirale sans fin, elle va encore être agressée, anéantie, puisque incapable d'assurer le rôle et les fonctions qu'on attend d'elle. Jusqu'à ce qu'il n'en reste plus rien. Voilà le piège dans lequel s'est engouffré Michel Onfray et qui le laisse démuni, impuissant à se saisir d'une uvre formidable dont on sent bien qu'il voudrait pouvoir disposer pour avancer sur son chemin personnel. Il ne peut alors que la dénaturer et pondre une apostille ( précisément « une annotation en marge ou en bas de page » ), c'est-à-dire, pas grand chose.
La couverture de l'« apostille » est illustrative à cet égard. On y retrouve la robe rouge, hiératique d'un grand prêtre. Mais celui qui l'a enfilée est loin d'en avoir la prestance. Ce n'est qu'un bon toutou dont on imagine mal qu'il puisse nous offrir une pensée riche et qu'il jette un jour les bases d'une « nouvelle psychanalyse ».
Arrivé à ce point, après avoir constaté que Onfray nous a délibérément menti, qu'il s'est laissé déborder par une passion haineuse que la raison philosophique n'a pu contenir, on est étonné qu'il ait recueilli un tel succès public. ( Les professionnels de tous bords ont été, au contraire, très circonspects ). L'explication tient au fait qu'il a développé dans ses livres des idées à la mode. Par exemple en s'attaquant sans vergogne à une image de père et à tout ce qu'il représente.
J'y insiste, Onfray n'a produit, avec ses deux brûlots anti-freudiens, rien d'original. Tout ce qu'il a avancé et soutenu on le retrouve au fil des ouvrages qui, depuis un siècle, tentent de faire un sort à la psychanalyse. Par exemple, Pierre Debray-Ritzen a consacré plusieurs livres, entre 1972 et 1993, à dénoncer ce qu'il appelait l'imposture psychanalytique. Et l'on croise sous sa plume les mêmes arguments, les mêmes contre-vérités, les mêmes démonstrations fallacieuses que sous la plume de bien d'autres qui l'ont précédé.
Onfray, s'il fallait faire une distinction, se démarquerait surtout par un acharnement sur la seule personne de Freud et par une disposition quasi obsessionnelle à ne s'intéresser qu'aux détails insignifiants qu'il grossit à l'infini, quand il ne les invente pas tout bonnement.
Quant à ce qui s'inscrit en filigrane, le meurtre du père et la destruction de ses valeurs, c'est devenu un sport mondial. Depuis la deuxième guerre mondiale la figure du père, dans tout ce qu'elle incarne, n'a cessé d'être attaquée au point même qu'on peut se demander aujourd'hui s'il reste encore quelque chose à démolir, ou si l'on n'est pas en train de tenter d'anéantir son fantôme, voire tout simplement son souvenir, pour qu'il n'en reste pas la moindre trace.
Ce que l'on a observé chez Michel Onfray se vérifie chez tous les enfants. Le père dans la plus tendre enfance est admiré, aimé, parfois passionnément. C'est le roi des contes de fées, presque un dieu sur terre qui protège, rassure, guide et à qui l'on a envie de ressembler. Mais le drame veut que plus on érige haut une statue, plus elle nous fait de l'ombre. Et donc, à côté de l'amour immense que l'enfant porte à son père, se développe un sentiment d'envie pour la place qu'il occupe, et même de haine parce que, plus il amplifie sa stature, plus l'enfant paraît ridicule comparé à lui.
Puis le père devient un censeur qui réclame que son enfant acquiert des valeurs, une éducation, qu'il connaisse des limites et surtout qu'il abdique son sentiment de toute-puissante. Le combat souvent est rude, car il s'agit là d'une blessure narcissique difficilement acceptée. Il faut que le père offre beaucoup en échange. ( Rudyard Kipling propose ce qu'il y a de plus précieux : « Et,- bien mieux tu seras un Homme, mon fils »... Il y a un siècle c'était ce qu'un adolescent pouvait souhaiter de mieux. Aujourd'hui il vous rira au nez et exigera le dernier smartphone à la mode ).
Bref, le père est celui qui exige que l'enfant renonce à ses pulsions, à ses désirs d'enfant pour devenir un être humain civilisé.
Et parmi les désirs auquel il lui faut renoncer il y a tous ceux qui sont organisés autour et sur sa mère. Le père devient haïssable pour l'interdit qu'il pose ici, mais aussi parce que, lui, conserve la mère pour soi.
Toutes ces forces, jouent entre elles, se conjuguent ou s'opposent pendant l'enfance, puis, à l'adolescence, sous la pression de la maturation pubertaire, elles se trouvent portées à incandescence, et la haine pour le père flamboie.
Il est évident que les choses ne peuvent en rester là et qu'il convient que la haine s'apaise, que l'adolescent redonne une place à son père, mais une place plus réaliste, un rôle plus approprié à la vie adulte. Il restera un modèle, un guide, mais ne sera plus un dieu ou un roi. Par contre tous les rôles, toutes les fonctions, y compris idéalisées, seront intégrés en l'adolescent. Les valeurs, les règles, le savoir-vivre, la capacité à gérer ses pulsions, ses désirs, tout cela fera désormais partie de lui, sera imprimé dans ses cellules et lui permettra de diriger au mieux son existence.
Pendant très longtemps ce remaniement se passait au fond des êtres, dans l'ombre de l'inconscient et le petit homme passait de l'enfance à l'âge adulte sans trop de dégâts, voire sans heurt.
D'ailleurs la notion même d'adolescence n'existait pas. Elle n'est apparue qu'il y a environ un siècle et demi. Mais depuis la deuxième guerre mondiale elle a pris une place de plus en plus considérable au point de n'être aujourd'hui pratiquement que la seule et unique classe d'âge. Désormais il existe des adolescents nouveaux-nés, de très jeunes adolescents, des pré-adolescents, des adolescents proprement dits ( encore que proprement ne soit pas forcément une notion adolescente ), des adolescents âgés, des adolescents vieux et des adolescents morts.
L'installation d'une culture adolescente est venue des États-Unis, nation auto-engendrée, nation sans père, qui a imposé un mode de vie en rupture avec les traditions, c'est-à-dire en rupture avec l'héritage des pères.
Les nouvelles idoles ( pour conserver le mots choisi par Onfray et emprunté à Nietzsche ), n'étaient déjà plus des pères, des héros mythiques, mais des adolescents ne proposant rien d'autre que des idées, elles aussi, en rupture avec tout ce qui s'était fait auparavant.
Très vite, tout ce qui venait du père, évoquait le passé, a été tourné en dérision.
Puis est arrivé internet. Un univers entier dévolu aux adolescents, généré ( en fantasme ) par eux. Un univers sans père, sans foi, ni loi. Sans traditions, sans morale, sans valeurs. Un univers tout de suite récupéré par les commerçants qui y ont trouvé une manne inépuisable. Un « nouveau monde », mais virtuel celui-là. Et pourtant un nouveau mode dans lequel toute la planète s'est engouffrée.
Aujourd'hui le père est définitivement mort.
Et même s'il existe des figures âgées, comme par exemple Johnny Hallyday ou les Rolling Stones, même s'ils ont des enfants, voire des petits-enfants, il est clair qu'ils n'incarnent pas des pères. Ils sont des adolescents vieux. ( et encore, par un jeu d'illusion, leur âge ne doit pas entrer en ligne de compte )
C'est forcément une catastrophe. Car devenir soi-même père, devenir adulte nécessite obligatoirement de s'identifier à une figure de père, à des références adultes.
Mais aussi toutes les fonctions représentées par la figure paternelle permettaient de structurer notre société. Et d'un coup, on est passé d'une société verticale, avec des règles, des lois, des valeurs, une culture, intégrées, incarnées, librement exercées, où l'on pouvait regarder vers le haut, être hissé au-dessus de soi-même, se dépasser, à une société horizontale, sans réelles valeurs ( posséder le dernier smartphone n'en est pas une ), sans normes, avec des règles et des lois pas incarnées, pas intégrées et donc vécues comme extérieures à soi, nécessairement frustrantes et donc génératrices d'une agressivité, d'une haine constante.
Il restait encore quelques figures paternelles ( des irréductibles pères ) qui, peut-être, auraient pu un jour servir à nouveau d'exemples, quand, lassés de la violence quotidienne, exponentielle, on voudrait installer des valeurs constructives et non destructives, en vue de bâtir une nouvelle société plus harmonieuse.
Mais heureusement, nous avons la chance d'avoir un philosophe immature qui veille, un éternel adolescent qui refuse d'être père, qui s'est employé à démolir la plus significative d'entre elles, Sigmund Freud.
Le drame c'est que chez certains adultes il existait une tension entre conserver malgré tout des valeurs qu'ils jugeaient indispensables et sacrifier à la mode pour ne pas se sentir en décalage, voire exclus. La caution apportée par Onfray, se présentant comme philosophe émérite, les a convaincu d'abandonner leurs valeurs. Hélas!
Hélas! Car avec ces valeurs, c'est la notion même d'Humanité qui disparaît.
( Regardez comme Onfray est génial. Avec lui l'Humanité a disparu avant le 21 décembre 2012. Si ce n'est pas de l'efficacité! )
Toutes ces valeurs immatérielles, abstraites, intellectuelles, morales, spirituelles, mentales, psychiques, humaines qu'autorise une culture verticale, ont cédé la place à des choix matériels, tangibles, visibles, univoques, technologiques, désincarnés, dévitalisés, déshumanisés, les seuls que puisse permettre une société horizontale, voire plate ( comme tous les écrans qui la caractérisent désormais ).
Dans le quotidien cela se traduit pas la recherche de biens matériels et non plus spirituels, et la vie semble réglée par le besoin de consommer, de posséder. Quant aux échanges ils ont pratiques, efficaces ou compétitifs et agressifs.
La société horizontale c'est le royaume des fils qui surveillent que le voisin n'ait pas plus qu'eux.
Mais, ce qui semble décider de tout, n'est pas forcément un « toujours plus » matériel que le « toujours plus » chanté par La Traviata. « Gioir » et « Sempre libera ».
Jouir de plus en plus et être chaque jour plus libre.
Certes, avec ces deux injonctions on n'est plus dans l'asservissement aux biens matériels, mais on n'est pas revenu dans des dimensions spirituelles. On nage tout simplement en pleine illusion, quand ce n'est pas en plein délire.
C'est une évidence que plus on est nombreux, plus la liberté, ne serait-ce que celle de mouvements, est restreinte. Chaque jour voit naître de nouvelles lois qui tentent de juguler de nouveaux comportements qui ne sont en fait que des tentatives d'échapper aux lois précédentes.
Il serait largement plus adapté à la nouvelle situation mondiale, de reconnaître ce manque de liberté, de l'accepter et donc, d'accueillir favorablement l'autre, et non plus de le haïr comme un gêneur, comme le dernier-né de la famille qui prend toute la place et que, comme Caïn, on a envie de tuer. C'est certainement là une mission, une tâche indispensable, qui devrait incomber à tous ceux qui peuvent être vus comme des guides, à commencer par les philosophes. Il y en a. Malheureusement ils sont tenus dans l'ombre par le succès de notre roi de l'illusion comique.
Quant à la jouissance elle n'est pas au rendez-vous. Sinon pourquoi s'abimer dans l'alcool, la drogue, les jeux vidéos, les flirts avec la mort? Ce qui domine aujourd'hui c'est l' insécurité, l'angoisse, l'agressivité, le conflits.
Tout cela laisse nos enfants aux prises avec un monde violent sur lequel on tient un discours illusoire. Comment peuvent-ils se construire avec cela?
La fonction du père était précisément d'apprendre à son enfant comment gérer les différentes sollicitations qui lui parviennent de l'extérieur et de l'intérieur. D'imposer des règles communes à tous pour que la vie ensemble soit possible et acceptée.
Et d'offrir les moyens de gouverner ses pulsions, soit en leur accordant un libre exercice quand elles ne posent aucun problème, soit en y renonçant, soit en les sublimant ( comme le chirurgien qui transcende dans l'exercice de son métier ses pulsions sadiques. Il continue toujours à jouir du plaisir de tailler dans les chairs, mais ce n'est plus dans le but de faire du mal, mais dans celui de sauver des vies. ). Cette impossibilité à trouver une issue favorable, non frustrante, à l'exigeante pression de nos pulsions, explique en grande partie l'augmentation du nombre de dépressions, de cancers, de suicides et participe grandement au marasme actuel.
Mais!
Heureusement notre emberlificoteur de neurones a la solution. Il nous offre sa psychanalyse non freudienne, non kleinienne, non winnicottienne, non bionienne, non lacanienne, non dipienne, non inconsciente, non pulsionnelle, non métapsychique, non transgénérationnelle, bref, non psychanalytique.
Que propose-t-il? Les pulsions sexuelles, il suffit de leur laisser libre cours, de ne leur opposer aucun frein, aucune limitation, notamment issue de la morale judéo-chrétienne ( on voit qu'il est allé chez les « pères ». Il les hait! ).
Cela est clairement exprimé en quatrième de couverture ( la vitrine des idées ) de sa « théorie du corps amoureux ». Il s'agit d'« en finir avec la monogamie, la fidélité, la procréation, la famille, le mariage et la cohabitation associés... »
Et, p. 210 du même ouvrage, de dresser la liste des formes de sexualité jusqu'ici interdites ou vilipendées par notre société : « homosexualité, polygamie, polyandrie, inceste, pédophilie, gérontophilie, zoophilie, fétichisme, exhibitionnisme, sadisme, masochisme, et moins violemment, masturbation, célibat, libertinage et stérilité volontaire, toutes formes de sexualité non productives socialement et qui sont à elles-mêmes leurs propres fins. L'usage des catégories dites de la perversion stigmatise toujours la sexualité du sujet affranchi des normes et des lois en la matière ». Certes, il ne dit pas explicitement qu'il faut autoriser l'inceste ou la pédophilie. Mais le contexte dans lequel il établit sa liste des sexualités réprimées et la proximité de phrases où il dit précisément qu'il faut s'affranchir de tous les carcans, induisent fatalement l'idée que c'est ainsi qu'il le conçoit.
Au fou!
C'est un blanc-seing délivrés aux pédophiles. Demain, traînés devant les tribunaux, ils pourront brandir le bouquin de Onfray et prétendre n'être pas des bourreaux mais les victimes de la morale judéo-chrétienne.
Conscient, malgré tout de certains risques à laisser planer de telles idées, il ajoute quand même que la sexualité doit procéder de « la seule volonté de deux libertés célibataires » ( formule étonnante qui laisserait croire que notre libertin redoute le cocufiage! ).
Dans son « Apostille » il installe cette libération sexuelle tous azimuts dans les outils de sa psychanalyse sans eau, sans gaz et sans électricité, et précise à nouveau « qu'elle ne criminalise seulement que la sexualité sans le consentement de l'un des partenaires ».
C'est tout! On peut tout s'autoriser à condition que les deux partenaires ( ou plus ) soient d'accord. Il n'est donc pas nécessaire qu'ils soient adultes et n'est pas gênant qu'ils contreviennent aux lois de la République ( il est vrai que Onfray les abhorre et les tient dans un parfait mépris ).
Ainsi si vous souhaitez coucher avec votre frère, votre sur, votre fille, votre mère, votre père, la voisine qui a douze ans, cela est tout à fait autorisé du moment qu'ils sont consentants. La chose est un peu plus délicate en ce qui concerne la zoophilie. Encore que, « qui ne dit mot consent »
.Quant à la nécrophilie elle réclame un tantinet d'organisation. Il est en effet indispensable que le mort ait prévu la chose avant son décès et l'ait couchée sur son testament pour que son amant teste d'être couché sur lui une fois qu'il sera passé de vie à trépas.
Voilà pour les pulsions sexuelles. Reste les pulsions destructrices, les pulsions de mort. Mais notre génie y a pensé, y a réfléchi longtemps et il nous apporte une solution lumineuse qui tient en trois mots sur la quatrième de couverture de sa « Théorie du corps amoureux ».
Il suffit que l'existence soit « indexée sur les pulsions de vie et refuse radicalement les pulsions de mort ».
Merde! Quel con je suis! Comment n'y avais-je pas pensé? Comment personne n'y avait-il pensé? Il suffit de dire « je refuse les pulsions de mort » et hop! Plus de guerres, plus de bombe atomique, plus d'assassins d'enfants, plus de cancers, plus de psychoses....
Et peut-être même qu'en rejetant l'idée de la mort je deviendrais éternel.
Merci Michel! Je me sens beaucoup mieux. La planète entière se sent vraiment mieux. Après le crépuscule voilà que tu nous offres l'aube d'une Humanité nouvelle et heureuse...
Allez! Je vais mettre tout de suite à exécution sa méthode. Je prononce les mots magiques « Vade retro, satana! Vade retro sales pulsions de mort! »....
J'ouvre la fenêtre. Je regarde. Génial! Le ciel s'est paré d'un arc-en-ciel, les oiseaux chantent et je vois même s'ébattre dans l'herbe verte des Bisounours...
Zut! Je me suis gouré, j'ai allumé TF1...
Si vous voulez combattre la mort dans un jeu grinçant, loufoque, facétieux, enivrant, il vaut mieux vous enflammez pour l'opéra de György Ligeti, « Le grand macabre » dans lequel les habitants de Brueghelland tentent de tuer la mort. Au moins il y a là une manière de se saisir de l'angoisse qu'elle suscite chez chacun, la volonté de la prendre dans une uvre. Et non les fantaisies d'un gamin de quatre ans qui essaie de se bercer de l'illusion qu'elle n'existe pas.
Après ce constat on ne sera pas étonné que l'« Apostille » n'ait pas eu de succès. Encore que je reste persuadé que c'est surtout parce qu'on n'y assassine pas suffisamment. « Les crêpes au sucre » ont reçu un bel accueil parce qu'on s'y livrait à une curée à laquelle le lecteur était invité à participer. Il pouvait s'agglutiner à la meute et se jeter sur Freud, le père, pour le mettre en pièces, le dévorer...
Tiens! Ça me rappelle quelque chose. Freud. « Totem et tabou ». La horde primitive qui tue le père et le dévore.
La boucle est bouclée.
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