Ca fait quelques mois déjà, quand j'arrive sur le quai de gare de la petite banlieue cossue où je bosse, qu'assise les écouteurs plantés au profond de mes oreilles, je le vois courir sur l'escalator.
Il cherche, oh nous ne sommes pas nombreux sur le quai, il me voit et me salue d'un signe de tête, je réponds de même (je suis timide).
Nous grimpons dans le même compartiment, moi file de gauche, collée au hublot, lui toujours devant, file de droite collé au hublot. Quand nous descendons, il me salue d'un même hochement de tête.
Et ainsi de soir en soir, signe de tête, gare de départ, gare d'arrivée, je m'offre un voyage dans son imaginaire qu'il me plait d'imaginer, dans le clair de ses yeux, sur son cou fin et palpitant, sur ses mains de pianiste.
Un soir, je me suis lancée « excusez-moi, vous me saluez chaque soir...... nous nous connaissons ? » « non mais je vous vois tous les soirs alors..........»
J'ai retenu un : « mais je ne vous vois pas saluer les autres pourtant ».
De ce jour, son hochement de tête s'est mué en « bonsoir ».
De ce jour, il a osé me parler, des petits riens banals, touchants « vous partez en vacances ? » ou alors « pas trop dure la journée ?».
De ce jour, il a changé de file, s'est assis face à moi, détaillant mon profil aux contours floutés par le temps. Je le sens et le regarde à mon tour.
Birdy, il en a le visage lunaire et fin, des cheveux blonds comme ébouriffés par une main maternelle.
Un soir, je ne l'ai pas vu, le train était en gare, je suis restée debout à le guetter tandis qu'on piquait ma place dans la rangée de gauche près du hublot, mais je m'en foutais.......... il est arrivé le visage étiré par l'angoisse, m'a vu, m'a souri, nous pouvions nous asseoir.
J'avais aussi remarqué que sa mise s'était raffinée, du jean avachi, il était passé au pantalon de toile noire, ses baskets crottées n'avaient plus l'air de sortir des marais, un blouson de cuir fin couvrait à présent un tee shirt vierge de tous tags ados.
Un soir d'absence, une femme qui faisait partie du voyage est venue me parler « Mon Ptit, j'ai vu le manège de ce pauvre garçon, méfiez-vous, c'est un attardé mental »
Je ne lui coupe pas la parole, elle continue « vous avez vu, il a son trousseau de clé autour du cou, je pense pas qu'il soit dangereux, il loge au centre Machin qui abrite les pauvres gars comme lui, mais faites attention quand même».
Là je me décide à lui répondre « Madame, avez-vous vu le film Birdy ? »
Elle me regarde interloquée « ???? » C'est l'histoire d'une jeune garçon qui se prenait pour un oiseau.......» « Regardez ce film et on en reparle ».
J'ai longuement réfléchi à la réflexion de cette femme horriblement bien intentionnée.
Avait-elle remarqué que moi aussi j'étais folle ?
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