On dit fréquemment que les sondages sont une photo de lopinion à un moment T. Mais les résultats du second tour seront une photo de létat de la France. Selon que François Hollande lemporte nettement comme les sondages lont annoncé pendant longtemps (55 % ou plus) ; selon que son triomphe soit plus modeste (52%) ; selon quil passe ric rac (moins de 51%) ; voire même que Nicolas Sarkozy lemporte sur le fil avec 50,02 %.
Cette hypothèse nest pas la plus vraisemblable, mais la rigueur scientifique oblige à lenvisager et oblige même à envisager une hypothèse encore plus invraisemblable : une victoire nette de Nicolas Sarkozy. A partir de 52 %, on pourrait dire que sa victoire serait nette et carrément inespérée. On peut se demander sil aura alors le triomphe modeste. Mais il ne sera plus nécessaire alors de sinterroger sur létat de la France : on ne pourra que sen inquiéter.
1- DE LA VAGUE BLEUE MARINE ET SIL CONVIENT DE SEN ALARMER
Le 26 avril au soir, David Pujadas, ce frondeur bien connu, a failli mettre en colère ce mou de François Hollande en lui demandant avec insistance :
"Y a-t-il trop détrangers en France ?"
Il a même tenu à justifier sa question en disant :
« Jessaie seulement davoir une réponse claire à une question simple »
http://www.agoravox.tv/actualites/politique/article/pujadas-lance-une-pique-a-hollande-34893
Aurait-il été si insolent si le score de Marine Le Pen, lui, avait été moins insolent ? Ou voulait-il ne pas insulter lavenir et se faire pardonner davoir si maltraité Nicolas Sarkozy le soir du 1er tour, ouvrant sa soirée avec un score aux environs de 25% ?
La précédente dépêche se terminait par cette remarque dEmmanuel Todd : « Je ne pensais pas qu'un jour, on aurait en France deux candidats d'extrême droite à une présidentielle, dont un soutenu par l'Allemagne. »
Cétait un mois avant ce 1er tour qui donnait plus de 17 % à Marine Le Pen. Et le 24 avril, Emmanuel Todd était reçu comme souvent dans CE SOIR OU JAMAIS. Il est arrivé en retard et a commencé par faire un peu de provocation, comme dhabitude, en disant que lUMP avait tant dérivé quelle était désormais à la droite du FN. En effet, la question qui était posée ce soir là était celle du score de la Marine et, comme on sait, on nest pas sérieux quand on a 17
Le débat sest un peu animé. Il y avait là pour défendre le sortant Philippe Némo, Nicolas Baveresse et Malika Sorel. Les premiers sont généralement présentés comme des intellectuels de droite. La troisième était présentée comme membre du Haut Conseil à l'intégration. Jai vérifié ensuite quelle y avait été nommée en 2009 par Nicolas Sarkozy. Raison pour laquelle elle le défendait comme on défend une victime, allant jusquà soutenir que, si le Président torturait (un peu) la langue française, cest simplement parce quil est un immigré de seconde génération. Elle aurait pu ajouter aussi : « qui aime bien châtie bien ».
Rallié à la Marine après avoir été séguiniste, pasquaiste, villiériste, chevènementiste, Paul-Marie Coûteaux était là, lui, pour opposer la valeur « liberté » à la valeur « égalité » que défendait Emmanuel Todd sur le plateau. Cest en effet une constante des idéologues de droite dopposer la liberté à légalité : ceci afin de justifier linégalité « naturelle » et lautorité tout aussi « naturelle » de leurs employeurs.
En résumé, Coûteaux prétend poursuivre comme gars de la Marine le pari pasquaïen dune France souveraine réunie sous lautorité dune femme providentielle. Todd, lui, fait le pari pascalien dune classe ouvrière réconciliée avec la gauche gouvernementale, ce quil appelle un « hollandisme révolutionnaire ».
Confronté dans ARRET SUR IMAGES à un porte parole du Front National, il pariait aussi sur un reflux de la vague bleue marine. Cependant, il explique aussi la plupart des pays européens connaissent depuis quelques années une poussée de lextrême droite.
On est fondé à parler dun retour dun phénomène historique des années vingt et trente du siècle dernier quon a coutume dappeler le fascisme. Longtemps, en France, on a traité de Jean Marie Le Pen de « facho ». Mais il nétait que lentrepreneur (et le rentier) dune entreprise familiale fondées sur les nostalgies et les ressentiments de soldats perdus, danciens de lOAS et de néo-nazis folkloriques, quoique violents. Ce que réussit sa fille aujourdhui est plus proche historiquement et conceptuellement du fascisme et du nazisme.
On y retrouve, bien sûr, le noyau de ces frontistes, racistes et anticommunistes, toujours en colère contre la démocratie. Mais on y trouve depuis quelques années déjà « les petits et les sans-grade » (ces mots étaient aussi employés par Bayrou), en colère contre « les élites mondialisées ». Et peut-être y trouve-t-on désormais des membres dune catégorie sociale de jeunes surdiplômés. Ils se perçoivent eux-mêmes comme une élite potentielle et dirigent leur colère contre une élite plus âgée qui est aux affaires. Ils ont pu penser voter Bayrou et ont finalement voté Le Pen. La colère voisine ici avec la volonté de manipuler.
Et nous retrouvons donc ici un phénomène quon a déjà connu entre les deux guerres : des élites qui se trouvaient mal utilisées et qui ont voulu utiliser le fascisme.
Rappelons pour finir ce chapitre que « le fascisme est l'archaïsme techniquement équipé » et que seul concept vraiment opérant pour le comprendre et le combattre, cest celui de la peste émotionnelle.
2-LETAT DU CANDIDAT SORTANT QUI VEUT SEN SORTIR
Le pari de Nicolas 1er est que la France reste majoritairement de droite et quil sera reconnu, malgré ses comportements dadolescent attardé, comme le meilleur défenseur des droites.
Ceux de ses partisans qui partagent la ligne du Buisson ardent (Eric Zemmour, Eric Brunet, Ivan Rioufol, Lionnel Luca) lui trouvent des qualités de combattant, de héros, de boxeur qui va pousser ce mou de Hollande dans les cordes de ses contradictions et de la pensée unique. Ceux qui déplorent cette façon de faire lécole buissonnière (Juppé, Raffarin et même Dominique Reynié) se réfugient dans un silence réprobateur.
Bien sûr, on peut lui reconnaître une certaine constance : il a toujours affiché être le tenant dun droite décomplexée et Madame Le Pen ne peut le lui reprocher.
On peut même lui reconnaître une vraie continuité dans le changement puisquil a toujours déclaré avoir changé. Cest dans ce sens quil faut interpréter cette annonce dun rassemblement du « vrai travail » le 1er mai. Comme à son dhabitude denfant-roi, devant les indignations et les plaisanteries qui ont fusé, il a dabord nié avoir prononcé ces mots. Puis il a reconnu plus tard que cette formule était malheureuse. On peut donc considérer quune fois de plus il a na pas changé en changeant davis ; et quil est donc resté fidèle à sa nature dadolescent décomplexé.
Certains diront (mais ce ne sont que des commentateurs) quil sest converti résolument au chaos management, à tous les paradoxes et aux injonctions paradoxales.
Lui qui est depuis 10 ans aux affaires, comme ministre, puis comme chef dEtat, nen finit pas de dénoncer les élites, les médias et den appeler à un peuple dont il na jamais fait partie, sauf à considérer que le peuple se réduit à Neuilly.
Lui qui na jamais hésité à moquer ses adversaires et à jouer les durs quand les forces de lordre protégeaient sa petite personne, sindigne des attaques dont il est lobjet, et qui sont toutes injustes, forcément injustes.
Parfois il prend sa voix grave pour confesser quil na pas tout réussi pendant son mandat. Mais cest pour remarquer aussitôt que jamais un président na été attaqué avec une telle violence. Et il se trouve des Thréard, des Tesson, pour nous demander dadmettre une telle évidence.
Pourtant, de Gaulle, lui, avait essuyé des tirs darmes à feux ; et Chirac, quelques crachats lors dune visite en banlieue. Même Mitterrand le sournois avait dû payer de sa personne pour tirer profit dune mise en scène qui lui a été longtemps reprochée. Sarkozy, lui, na essuyé que des quolibets, et, une fois, il a été tiré par le collet.
3-LETAT FRANÇAIS ET COMMENT LEVITER
Il nous joue lindignation vertueuse sur un autre thème depuis une semaine, et là aussi il se trouve des commentateurs complaisants pour partager son indignation.
Le film du dernier épisode se déroule en trois moments :
1) le président sortant lance son idée du « vrai travail » ;
2) LHumanité et Jean Luc Mélenchon dénoncent un pétainisme renaissant ;
3) la presse bien-pensante, la pensée unique (Giesbert, Le Point, LExpress,
) comme la pensée inique (Le Figaro), trouve déplacé, voire carrément honteux et indécent le moment n°2.
Parmi ceux qui trouvent déplacé le rapprochement entre les pensées de Sarkozy et de Pétain, les plus contemporains voire post modernes évoquent un nouveau G, le point Godwin, du nom de cet avocat états-unien qui a énoncé une loi :
« Plus une discussion en ligne dure longtemps, plus la probabilité d'y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler s'approche de 1 .»
Bien sûr, la campagne présidentielle ne se déroule pas uniquement sur linternet et Pétain nest pas tout à fait Hitler, mais bon, cest une façon de se démarquer de ces affreux communistes.
Parmi ceux qui nhésitent pas à parler de honte et dindécence, on trouve Pierre Rigoulot qui précise : « Indécente parce que la droite nest pas lhéritière de la Collaboration ni la Gauche celle de la Résistance ».
http://www.planet.fr/a-la-une-menace-fasciste-nos-portes-le-petainisme-nouveau-point-godwin-de-vie-politique-francaise.193278.1912.html
Comme le chante Arno : « Putain, putain, cest vachment bien
»
pratique de se débarrasser ainsi dun vieux maréchal qui avait lui aussi fait don de sa personne à la France.
Pendant longtemps, le PCF nest présenté comme le parti des résistants et des fusillés. Depuis la chute de lURSS et le triomphe spectaculaire du capitalisme « libéral », il est devenu le parti des assassins et la droite ne manque jamais de rappeler quelques vérités :
1) « la Résistance communiste na vraiment commencé quaprès lattaque de lURSS par les nazis en juin 1941 »
2) « Les socialistes ont eu aussi dans leurs rangs de vrais résistants. (
). Mais il est vrai que cest aussi de leurs rangs que sont issus des gens qui ne se sont pas contentés de soutenir Vichy mais qui ont souhaité franchement la victoire de lAllemagne (
), qui confondaient allégrement socialisme national et national socialisme. »
3) « Pas plus quelle na le monopole du coeur, la gauche na le monopole de la Résistance. »
Cest dailleurs ce que fait ce Rigoulot à qui nous empruntons ces lignes. Ce nest pas un rigolo, certes, mais un site peu suspect de gauchisme donne la liste des 80 parlementaires nayant pas voté les pleins pouvoirs le 10 juillet 1940. La vérité oblige à dire quune infime minorité dentre eux appartient à la droite.
http://www.charles-de-gaulle.org/pages/l-homme/dossiers-thematiques/1940-1944-la-seconde-guerre-mondiale/l-appel-du-18-juin/reperes/les-80-parlementaires-n-ayant-pas-vote-les-pleins-pouvoirs-le-10-juillet-1940.php
En réalité, si des conservateurs et même des réactionnaires, des aristocrates, ont choisi de résister à loccupant, la bourgeoisie dans son ensemble a préféré la collaboration avec lui. La « révolution nationale » du maréchal nétait pas pour lui déplaire, puisquelle prenait le contre-pied de laffreux Front Populaire. La théorie du glaive et du bouclier personnifiée par de Gaulle et son ancien professeur à lEcole Militaire est née dans les années quarante et a persisté malgré la domination idéologique des communistes et des gaullistes jusquau début des années quatre-vingt. Henri Amouroux est assez emblématique de cette pensée.
La domination idéologique des communistes et des gaullistes était due à leur importance dans la Résistance. Raison pour laquelle la bourgeoisie ne put sopposer alors avec succès au programme du Conseil National de la Résistance. Mais, quand il revint au pouvoir, le général de Gaulle installa à Matignon pour plus de 6 ans un homme qui navait ni résisté ni collaboré ostensiblement.
François Mitterrand, lui, avait ostensiblement été pétainiste, puis résistant. Ajoutons quil était issu de la bourgeoisie et avait commencé son parcours politique à droite. Cest pour beaucoup dans la détestation quil inspire encore à la bourgeoisie et à la droite française.
On dit que Nicolas Sarkozy a une profonde admiration pour François Mitterrand. On se demande pourquoi il manifeste un tel rejet pour la figure de Philippe Pétain. Celui-ci fonda sa Révolution Nationale sur le rejet du Front Populaire. Nicolas Sarkozy nen finit pas dénoncer les lois scélérates de « la retraite à 60 ans » et des « 35 heures ». Il en a dailleurs abrogé lune.
François II, sil est élu, sera donc le 1er vrai président de gauche, même sil ne se revendique pas dune gauche radicale.
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