Je mappelle Justin. Ça veut dire «juste un». Pourtant, je ne suis pas tout seul. Jai un frère jumeau, Colin. Nous avons le même âge, les mêmes cheveux roux, la même figure, les mêmes yeux noirs, mais nous ne sommes pas pareils. Moi, je grandis, je marche, je vais à lécole, je fais du vélo et des bêtises, je dis des gros mots, je me bagarre. Colin ne grandit pas, ne marche pas. Il est petit, maigre et pâle. Il reste couché dans son lit ou assis, attaché dans son harnais. Il sest inventé un nom, Colissimo, car il est transporté comme un colis par tout le monde, les parents, le kiné, linfirmière, du lit au fauteuil, à la baignoire, aux WC, et retour au lit. Tout le monde rit, les parents, le kiné, linfirmière, ils disent Colissimo. Moi, je dis Colin.
Colin et moi, nous jouons ensemble. Maman installe Colin dans son harnais, moi japporte plein de jeux sur la petite table du lit, des légos, des voitures, des pistolets. Cest moi qui invente les jeux. Je raconte et je mets les jouets dans la griffe de la main droite de Colin, et après il se débrouille avec les deux doigts mobiles de sa main gauche. La police poursuit les voleurs, les soldats font la guerre, les fusées senvolent et explosent, les voitures font des tonneaux, les pompiers arrivent à toute allure, la sirène hurle, on rit et on crie, je cours partout dans la chambre, je saute dans les coins, Colin rit, puis il sénerve car il narrive pas à appuyer sur la gâchette, ou à attraper une voiture tombée trop loin de sa main, alors, il jette tous les jeux par terre avec ses drôles de gestes saccadés, il crie de sa drôle de façon de crier, il pleure et suffoque et narrive pas à reprendre son souffle, et Maman arrive en courant, le détache du harnais avec ses mains tremblantes, le berce, le câline : Là, là, mon petit Colissimo, mon Colin chéri, ce nest rien, je suis là, Maman est là, ne pleure pas, tout va sarranger. Elle lembrasse, Colin se calme, ses yeux sèchent, les yeux de Maman se mouillent, moi je les regarde, je reste à les regarder, je voudrais les faire rire, faire le clown, mais je ne sais pas quoi faire, quoi dire, et Maman me voit soudain et me gronde : Quest-ce que tu as encore inventé ? Tu ne peux pas jouer au moins une fois calmement au lieu de lénerver. Tu lui fais mal ! Allez, reprends tes jouets et va jouer tout seul dans ta chambre !
Je naime pas être tout seul dans ma chambre. Alors, moi aussi, je crie, je pleure, je donne des coups de pied dans la porte. Mais Maman ne vient pas, et le soir Papa me fait la leçon : Colin est très malade, tu dois être gentil avec ton petit frère. Moi, je réponds en colère : Ce nest pas mon petit frère, cest mon jumeau !
Les mois, les années passent. Je deviens grand, costaud, je suis très grand et costaud pour mon âge, comme si je grandissais aussi pour Colin. Je vais à la grande école, jai des devoirs à faire le soir. Jai un copain pour jouer dehors, Max. Il habite dans la maison dà côté. Chez lui, il ny a pas de Papa, mais deux grandes surs. Cest un trouillard et cest moi le chef.
Colin est de plus en plus pâle et faible. Lui, il apprend à être très malade. Il reste à lhôpital très longtemps et il me manque. Je vais jouer dans sa chambre vide. Maman et Papa parlent tout bas entre eux. Je suis insupportable.
Et puis un jour, enfin, Colin revient. On linstalle dans sa chambre, dans son lit, maintenant il restera toujours allongé dans son lit, il est trop faible pour jouer à être un colis.
On lui demande ce quil veut, il dit : Je veux voir Justin.
Papa me fait la leçon. Maman me fait promettre dêtre sage, de ne pas crier, de ne pas sauter. Je promets, je promets.
Je massois à côté du lit, sur la chaise placée de biais pour que Colin puisse me voir sans tourner la tête. Jai peur et je suis content en même temps. Je ne dis rien. Je nai pas didées. Je ne crois pas quon pourra jouer ensemble maintenant, lui transparent dans le lit, moi flamboyant sur la chaise. Je ne dis rien.
Et Colin parle.
(A suivre...)
↧