Les gouttes d'eau ruisselaient sur le visage de l'inspecteur, trempé jusqu'aux os. Elles dégoulinaient de sa tignasse aux mèches bistournées. D'une main il avait beau les chasser régulièrement de ses épais sourcils gris, où elles s'agglutinaient, mais aussitôt d'autres les remplaçaient et tombaient sur la moquette où une mare commençait à se former.
L'inspecteur s'accorda un instant pour reprendre son souffle, les escaliers qu'il avait monté quatre à quatre lui avait déclenché une anhélation . C'est en réprimant sa toux, une main devant sa bouche, qu'il parcourut la pièce du regard. Dehors, la pluie tombait à torrent et des bourrasques de vent secouaient les volets clos. "Ce n'est pas un temps à mettre un chien dehors", songea t-il.
La victime, une toute jeune femme en tenue d'Eve, gisait, effondrée face contre terre, au milieu de la chambre à un mètre de lui. Seule la lumière qui provenait de l'écran d'ordinateur portable sur son bureau l'éclairait. Près d'elle la chaise du bureau où elle devait se tenir avant le drame était renversée. Tout au fond de la pièce, pour tout mobilier, le lit recouvert d'une couette mauve.
Harry, l'inspecteur sappelle ainsi, s'approcha de la victime ...
(on imagine celle-ci superbe vraiment, et jeune on l'a déjà dit, surtout en comparaison de l'inspecteur, mais l'auteur n'étant pas nécrophile ne prolongera pas la description, tant pis pour vous, c'est comme ça).
Harry remarqua aussitôt un objet qui avait roulé sous le lit et dont le manche dépassait : un martinet !
Celui-ci avait apparemment glissé de la main de la jeune femme. En relevant la tête, l'inspecteur aperçut que la fenêtre de lordinateur affichait la page d'un forum de rencontres parisien, connu d'un cénacle étroit d'amateurs spécialisés et avertis.
Les fenêtres de chat avec le dernier correspondant témoignaient d'une conversation brûlante, qui s'était déroulée par webcam, le dernier échange avait eu lieu une demi-heure plutôt. Le message de 00h08 était constitué par une série de points d'interrogation témoignant de la perplexité du correspondant face au silence brutal de sa maîtresse virtuelle.
Un silence mortel en l'occurrence.
Une partie de l'énigme se dissipait, depuis quelques années le cam to cam s'était placé en tête des jeux érotiques. Ce jeu pouvait se pratiquer à n'importe quel moment de la journée, même au bureau, il suffisait de posséder un ordinateur, d'une connexion internet et d'avoir un, ou plusieurs contacts en ligne. Un simple téléphone portable pouvait suffire !
Plus besoin de levrauder un partenaire dans les galeries des supermarchés. L'imagination pouvait enfin satisfaire à volonté, immédiatement, l'ensemble de ses phantasmes et multiplier les scénarios les plus labiles. L'anonymat ajoutait un piment supplémentaire... avec un soupçon de danger lié à la transgression d'un interdit et au risque de tomber sur une connaissance, voire d'être surpris par un indiscret ! A une époque où plus personne ne se formalise de recevoir par erreur à trois heures de l'après midi un sexto de son responsable, à l'heure des twitts et de facebook, il fallait bien inventer quelque chose.
Un nouvel équilibre social s'installait où l'amour propre de chacun se monnayait au désir du plus offrant. En somme tous étaient conviés à la noce et s'en accommodaient. "Bienheureux les invités au festin de noces !" proclame l'évangile. Un fois encore l'amour du prochain réduisait les écarts et proposait une mixité sociale d'un nouvel ordre. Si Dieu a dit : Je partage en deux, les riches auront de la nourriture, les pauvres de lappétit» en ce qui concerne le désir, ceux qui l'inspirent le mieux sont aussi ceux qui mendient le plus sa reconnaissance. Même auprès des inconnus...
Un rapide examen du disque dur livrerait l'adresse ip du complice de ces jeux inoffensifs.
Inoffensifs ? L'inspecteur en observant les stries rouges laissés par le martinet sur les épaules de la jeune fille en était moins certain. Sur le bureau, il pouvait voir dans un sac négligemment ouvert une paire de menottes, une bougie rouge , des cordes, ainsi que des pinces à linge en bois et .. divers objets en métal dont un davier de dentiste dont la présence pouvait laisser perplexe.
Mais Harry cherchait autre chose, qu'il trouva facilement dans l'autre main de la victime. Un flacon en verre dont le liquide s'était évaporé et imprégnait légèrement l'atmosphère de la pièce.
Il reconnut la marque du produit interdit à la vente récemment en France. Rien à voir avec la drogue dite des "sels de bain" dont les effets étaient si médiatiques. L'inspecteur laissa échapper un sourire en songeant aux images d'un sdf dévoré vif par un homme victime d'un accès de cannibalisme. Non ici il s'agissait d'un dérivé de nitrite de propyle qui semble inoffensif autant que l'éther mais dont l'utilisation exagérée à des fins aphrodisiaques provoque l'inconscience en modifiant le programme de lhémoglobine qui ne se charge plus en oxygène mais en dioxyde de carbone. Aucune chance pour cette jeune femme de soupçonner le danger, songea l'inspecteur.
Encouragée par son interlocuteur dans l'accomplissement de ses désirs érotiques, la jeune fille avait uvré lentement mais sûrement à sa propre destruction. Les lèvres bleuies témoignait de la lente asphyxie qui s'était opérée dans l'organisme avant d'aboutir à la perte de conscience puis à l'arrêt ventilatoire. Une simple présence l'aurait sauvé ! mais le miroir aux alouettes du virtuel semble tellement plus attrayant ! Et lorsqu'on tombe sur le diable, qu'il vous invite à danser, c'est toujours lui qui vous entraîne !
Harry se redressa et s'empara du portable et de la clef wifi. Aucune chance pour les enquêteurs de remonter jusqu'à lui. La jeune femme serait déclarée morte suite à une pratique érotique solitaire.
Péniblement, l'inspecteur des impôts Harry, redescendit l'escalier. Il n'était plus jeune, le moindre effort l'épuisait. Sa vie sédentaire ne lui avait offert que peu d'occasion d'aventures et d'action ! Bientôt il serait en retraite... Comment remplirait-il ses journées ? Il ne craignait rien de plus que l'ennui. Oh, il avait bien une idée, il faut reconnaître qu'il avait un certain talent qu'il exerçait depuis quelques temps : la domination cérébrale. Entrer dans l'esprit d'une personne, trouver ce qu'elle désirait, l'exprimer à sa place et la pousser dans le sens de son désir. C'était un jeu passionnant, mais qui se terminait rarement bien.
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