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Expérience de désintégration d'un noyau d'abricot par Annaconte

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C’était après le repas de midi. Une petite faim de fruit frais. Une petite soif d’été. Même pas besoin de le convoquer, il était déjà là, le bel abricot dans sa coupe de fruits, la vie est un paradis vraiment, il n’y a qu’à tendre la main. Cueilli le matin même à la fraîche, il vibrait à m’attendre. Cela arrive quelque fois. A tout le monde. Je suppose. Cela arrive n’importe où. N’importe quand. Télescopage des choses et des mots ? Fuite du temps ? Cette petite chose ronde, dorée, tachetée de brun, parfumée et sucrée, vertige du plaisir imminent des papilles, à l’énoncer dans sa tête, par pur jeu, comme on chante, fut séparée soudain, sans bruit et sans raison, du mot qui était censé la désigner ! Il y avait désormais d’un côté, dans la main, l’abricot – le fruit -, tranquille, serein, inoffensif. Enfin disons, qu’il y avait UN fruit. Alors que l’ABRICOT - le mot – lui, s’était comme décollé du fruit. Evanoui. De l’autre côté.... Ne me demandez pas trop. A ce sujet, j’aurais du mal à vous répondre. Le mot ABRICOT, d’habitude associé au fruit, s’était comme résorbé en lui-même, autodétruit, carrément anéanti. A le prononcer à voix haute –pour être sûre- plus rien n’en sortait. J’avais beau répéter le mot ABRICOT plusieurs fois de suite pour le faire surgir, le sens faisait défaut. Accident de parcours, retard à l’allumage ou absentéisme flagrant ? Il manquait à l’appel. C’était un squelette de vieux mot. Une espèce de caisson vide. Des lettres alignées. A B R I C O T . Point. Et cette chose que je portais maintenant à la bouche, sans plus vraiment savoir de quoi il s’agissait voilà qu’elle avait perdu toute sa densité. Sans son nom, le fruit laissait filer avec amertume un peu de sa substance originelle. Cependant que paradoxalement, de lui, autre chose émergeait, avec une nouvelle épaisseur, une autre matière inconnue, comme une météorite tombée du ciel directement entre mes doigts.....Glacée, rugueuse et pas encore nommée. ( comme il arrive à la dernière-née des étoiles d’attendre impatiente qu’on la gratifie d’ un prénom). De l’autre côté.... le mot tout seul, répété jusqu’à l’usure, comme une incantation pour faire réapparaître le sens, s’était desséché sur pied. Il n’avait plus de signification. Impossible de le rattacher à quoique ce soit. Aucun lien entre le mot et l’objet. Deux destins distincts... ABRICOT comme un fruit sec soudain. ABRICOT comme une poche retournée, avec rien dedans. Vide. Même plus de noyau. Plus de pulpe. Plus de chair. Une pelure de fruit. ABRICOT inerte, isolé, posé là. Une miette de mot. Un semblant. A force de tordre le mot comme on tord une note de musique, j’en avais sans le vouloir essoré jusqu’ au sens. Il n’en avait plus. La chose et le mot, la chose et son mot, s’étaient comme dissociés. Et moi je demeurais là, déconcertée, j’avais l’impression d’être dissoute moi-même...Désintégrée. Heureusement, ce moment de désintégration ne dure jamais longtemps....Les choses reprennent très vite et naturellement leur place, et leur nom. Tout rentre dans l’ordre. Vous pouvez croquer dans votre bel abricot reconstitué. Le plaisir est toujours au rendez-vous. C’est un soulagement. En perdant le sens du mot, j’avais perdu la chose....Drôle de révélation ! Impression que derrière l’écorce dure, au fond, il n’y a pas grand-chose.... J’habiterais donc une maison de mots, dans un village de mots....le nom des choses, des arbres, des fruits, des gens, le mien.....tout ne serait-il donc qu’une pellicule fine posée sur le réel tragique des choses ? ou pour habiller leur simple vanité ? Ou bien cela se pourrait-il que ce soit l’inverse ? Et comment sous la prose se cache, qui sait, la poésie des choses....

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