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Une toute petite broussaille dans la brousse par Annaconte

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Le long de la rue, les herbes folles pas si folles ont élu domicile bien tranquillement et en catimini, au fil du printemps, sans qu’on les remarque. Elles ont étalé tranquillement leurs racines dans le goudron et les graviers du chemin, et haussé leurs tiges, piquantes pour les plus dures, au pied des murs des maisons, têtues, butées, en rang serrés, comme des manifestants, dressant leurs petites pancartes de feuilles drues ou de pissenlits étriqués. Personnellement, même moi qui ne suis pourtant pas maniaque de l’ordre et de l’asepsie grotesque des cités de béton, je considère d’un mauvais œil ces mauvaises herbes pas si mauvaises je sais bien. Elles font tache dans ce petit coin du village bien propret et charmant. On pourrait laisser croire au passant égaré ou au touriste conquérant que nous nous laissons aller. Bien sûr que nous nous laissons aller. Pour les uns, c’est difficile de gérer à la fois son propre jardin très propre, bien clos derrière ses portes verrouillées électroniquement comme des coffres-fort, et en même temps l’espace commun de la rue, où jamais ils ne circulent autrement qu’en véhicule plombé, le matin et le soir pour aller et rentrer du boulot ! alors pour ceux-ci, les zerbes ne sont pas leur problème majeur et on peut les comprendre. Pour les zotres, -j’allais dire privilégiés qui ne travaillent plus ou pas encore ou pas du tout mais faut faire attention à ce qu’on dit de nos jours avec le chômage, les privilégiés ne sont pas tous à égalité-, pour les vrais ceusses qui ont du temps, il n’est absolument pas question de le perdre en considérations d’esthète, à arracher les herbes disgracieuses qui envahissent les trottoirs poussiéreux sous peine de s’écorcher les mains et d’attraper une épine mortelle qui sait, et puis de toutes façons, c’est pas à eux de le faire ce travail là, et même que si on le faisait à leur place, d'arracher les mauvaises herbes des rues, ça pourrait leur faire perdre leur job à ceusses payés pour ça, avec l' impôt de chacun, et qui devraient le faire, et qui d’ailleurs ne le font pas, et que personne à la mairie ne se soucie de ce coin reculé et perdu en hauteur sur le flanc de la colline, pourtant ils ont notre adresse, on les reçoit leurs prospectus quand il s'agit d'aller voter je vous jure, et que même le directeur des services techniques qui se promène du matin au soir en costume cravate sur le chantier du nouveau rond-point de l’entrée de la ville, eh bien même pas il doit connaître notre quartier ! que même si on l’appelle pour les zencombrants il n’envoie pas le camion avant des semaines, et que même tout le monde sait que chacun fait ce qu’il peut avec les moyens qu’il a de ne surtout pas le faire ! Alors je l’ai fait. Moi. Pas plus tard qu'hier matin. Ne me félicitez surtout pas. J’en ai profité pour faire un peu d’exercice et perdre cent grammes sous le soleil de juillet, c'est plus sympa que la salle de muscu ou que le jogging en rase campagne au risque d'être agressée ou pire, on sait jamais -les journaux, y sont plein de faits divers hiver comme été de ce genre de choses horribles que ça vous coupe l’envie d’aller marauder seule en cambrouse ! J’ai rempli deux gros sacs poubelles - format XXL en plastique costaud de chez Costaubrico qui ne les donne pas je précise. Que j’ai descendus jusqu’au container du tri sélectif mais y a pas d’emplacement pour les zerbes donc je pourrais être menacée d' une amende pour incivilité, je vous jure ! des fois faudrait mettre des bombes !! Pendant que je bossais en plein cagnard, il me vint un doute. Cette année décidément les zerbes étaient plus grosses, plus féroces, plus nombreuses que d’habitude. Effet de la radioactivité peut-être ? parait qu’après Tchernobyl, là-bas autour du site, les feuilles des arbres avaient triplé de volume, va savoir....Effet du changement climatique ? ou des zabeilles ivres peut-être plus butineuses qui essaiment le pollen un peu partout au hasard ? mais tout le monde sait que du côté des zabeilles c’est pas la joie, Monsantue et Paygon et autre Bayard, se sont chargés de les exterminer à coup de pulvérisation mortifère ! Ça me rappelle le DTT (je disais comme ça en tout cas) qu’ »on » envoyait sur les villes du midi autrefois du haut des zélicoptères zélés, pour anéantir les moustiques : on sortait tous pour regarder tomber la poudre blanche et on était contents de savoir que le soir on pourrait souper tranquilles dehors sans être dévorés par les petits vampires assoiffés ....Bref, je me disais en arrachant les indésirables que cette année c’était différent ... C’est que même devant la maison fermée de Monsieur Vincent c’était vraiment la forêt vierge ! Voilà une année exactement que son frère l’avait retrouvé mort dans sa salle de bains, un matin de dimanche. (re-trouver ... drôle d’expression tout de même !) Il était discret Monsieur Vincent. Juste à trimballer les sacs noirs de la benne à ordure trop pleine et crachant ses déchets sur la route, jusqu’au container d’en bas, il passait ses journées semble t-il à ces allées-venues silencieuses, par tous les temps, hiver comme été, déposant au passage sur ma fenêtre***, une relique trouvée dans les décombres, une assiette, un sac, un pot, des jouets encore en état, que j’étais contrainte d’aller un peu plus tard rejeter dans une poubelle éloignée pour ne pas le vexer s’il retrouvait ses cadeaux dans la nôtre ! Monsieur Vincent passait son temps dans la rue...Le plus souvent assis le soir, sur une pierre auprès du puits. Il ne parlait à personne. Un signe de la main suffisait. Ou de la tête. Juste il montait et descendait la rue, journellement, plusieurs fois, chargé de sacs plastique, de cartons, de caissettes, sans férir. Balancier d’horloge, imperturbable, fidèle, il scandait les heures sans un bruit. Aujourd’hui, à suivre la piste des herbes folles, il est facile de retrouver le chemin de Monsieur Vincent. Là où il passait. Là où hier, il devait sans nul doute en passant, se baisser un instant pour arracher ici un trèfle malchanceux, une avoine folle, un séneçon cotonneux, là, une bourrache sucrée, du chiendent mordant, , un plantain hautain, un laiteron tenace, un pourpier bien agrippé, enlever quelques soucis, pâturins et autres orties, dommage pour les bleuets, renoncules dorées et coquelicots pris dans le piège d’un liseron, tant pis pour les pissenlits, emportés avec les pourpiers sauvages que peut-être notre débroussailleur assaisonnait en salade pour son repas du soir ? Avec le recul, et à voir la prolifération soudaine de toutes ces vertes arrogantes qui font comme chez elles, partout et sans scrupules, je me dis que c'était sûrement lui qui nettoyait la rue. Et faisait régner la discipline chez les petites fofolles ! J’irais bien écrire à la craie sur sa porte fermée « ici vécut un grand balayeur de rues qui fit bien son travail » mais bien sûr je n’oserai pas. Alors mon papier là, ce matin, considérez que c’est un hommage que je lui rends. A cet homme humble, invisible broussaille, et déjà oublié..... C'est ce que voulait dire Douglas Mallock -que je ne connais pas, cité par Martin Luther King dans La Force d’Aimer (1964) chez Casterman,- quand il écrivait : "Si tu ne peux être pin au sommet du coteau, Sois broussaille dans la vallée. Mais sois la meilleure petite broussaille Au bord du ruisseau. Sois buisson, si tu ne peux être arbre. Si tu ne peux être route, sois sentier ; Si tu ne peux être soleil, sois étoile ; Ce n'est point par la taille que tu vaincras ; Sois le meilleur, quoi que tu sois." *** j'avais écrit un texte sur lui , ici ..Tri sélectif octobre 2010 en catégorie lecture (si vous faites partie de ceusses qui ont du temps !!) http://pointscommuns.liberation.fr/les-freres-holt-commentaire-lecture-91159.html

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