Ils s'étaient longtemps croisés sur un rythme lié aux soirées festives d"amis d'amis. Ils se parlaient parfois, un peu, juste assez pour s'apprécier et être l'un l'autre dans une admiration respective des parcours parallèles. Ils étaient alors tous deux dans le confort d'une relation installée qui s'étaient agrandie au fil des enfants nés. Les fissures n'avaient pas encore entamé la foi des espérances éternelles. Et puis la vie leur était revenu comme un boomerang pour leur faire comprendre que personne n'était épargné. Perdus dans les méandres des séparations, ils n'en sortaient pas indemnes et avaient l'un l'autre connu des bouleversements radicaux. Les cercles d'amis s'étaient raréfiés, n'ayant pas arrondi leur angle de peur que cela tente d'autres couples. Néanmoins, il y a quelques mois ils s'étaient entrapperçus un court instant dans une quelconque soirée où elle ne s'était pas attardée. Ils s'étaient de loin salué, juste assez pour se rendre compte que le miroir que l'autre renvoyait, trahissait ses propres marques des temps decomposés. C'était il y a un ou deux mois environ, elle ne s'en souvenait plus très bien. Prise dans un imbroglio de contraintes le temps glissait sur elle sans qu'elle puisse le retenir.
Elle n'avait pas reconnu sa voix au téléphone, cet appel l'avait surprise. Elle ne savait pas d'ailleurs comment il avait obtenu son numéro. La maladresse de ses phrases l'avait attendrie car elle témoignait d'une volonté à cacher l'importance qu'il semblait accorder à cet appel. Elle avait failli toutefois refusé l'invitation à déjeuner. Et puis elle s'était dit qu'elle devait se forcer pour sortir un peu de l'ambiance lourde qu'elle subissait, qu'il lui fallait reprendre un tant soi peu part à la vie. Toute la journée d'hier jusqu'à ce matin elle était passé par des faces de revirements. Persuadée tantôt qu'elle irait et puis quelques minutes après trouvant ridicule le fait de le rencontrer alors qu'elle était si peu préparée à rejouer des codes de séduction. Le temps n'incitait pas à sortir. L'air était lourd, étouffant et menaçait de noyer les sols trop secs dû à la chaleur excessive des derniers jours.
La porte claquée elle regrettait déjà de ne pas être retournée se coucher. Ses oscillations perpétuelles l'avaient mise en retard. Elle n'était pas sure qu'il serait encore là. Peut être finalement c'est ce qu'elle souhaitait pour se convaincre que rien ne pouvait changer. Il allait falloir maintenant qu'elle se presse un peu par correction. Ses talons jouaient une partition un peu plus soutenue pour atteindre la brasserie où ils avaient convenus de se retrouver. Elle s'inquiétait de savoir comment elle allait lui dire poliment qu'elle ne mangeait plus, que c'était à chaque fois une épreuve de force. Le goût lui était passé depuis quelques mois ce que trahissait sans état d'âme la balance ainsi que le flottement de ces habits. Elle était devenue anguleuse, sans plus de douceur et une maladresse lui était venue pour lui offrir une multitude de bleus sur ce corps décharné qu'elle n'aimait plus tellement on s'était acharné sur lui.
Elle était là assise face à lui. Il commença par l'abreuver de questions qui la submergeaient. Elle noyait ses réponses dans le verre de vin qu'il lui remplissait régulièrement. Il lui rappelait qu'un temps on s'était intéressé à elle. Elle avait oublié. La bouteille proposée en guise d'apéritif avait rempli son office en leur permettant de baisser pavillon. Elle lui dit d'un coup qu'elle n'avait pas faim, qu'elle préférerait se promener avec lui. Il acquiesca et ils se retrouvèrent dehors. La température allait encore rivaliser avec ses records, aussi se dirigèrent-ils vers la Seine pour espérer profiter d'un peu plus d'air. Sa démarche était moins assurée, les talons hauts, elle accepta sans façon son bras galammant posé sur sa hanche et tant pis s'il ne rencontrait que des saillances.
Il avait accepté ses silences, il n'avait pas cherché à forcer la parole. Au contraire il s'était mis à dessiner les contours de ce qu'il était devenu sans chercher à se donner le beau rôle. Elle était surprise qu'il s'expose avec autant de naturel puis qu'il lui fasse part sans faux semblant de son désir pour elle. Elle ne s'y attendait pas à ce qu'il la trouve désirable. Alors que cela aurait du la faire fuir, elle se rapprocha de lui tout en continuant à marcher. Peu à peu elle se laissait aller, elle se relâchait. Ils venaient d'arriver sur les quais de Seine quand le temps fit entendre quelques coups de tonnerre violent. Il la maintient serrée quand des bourrasques de vent soulevèrent jupes et feuilles et fit fuir les quelques rares passants présents. La pluie arriva très vite, drue et intense.
Sur la pointe de l'Ile Saint Louis désertée, leurs lèvres se rejoignirent et se mélèrent de dire tout ce qu'il n'avait pu dire de leur mots. Naufragés et dévastés dans leur monde, ils s'agrippaient l'un à l'autre, surpris de constater qu'ils pouvaient encore être acteurs de leur vie. Ils l'entraîna vers un banc où il l'a fit s'asseoir sur ses genoux. De sa main il essuya sur son visage les larmes du temps qui s'étaient mêlés aux siennes. Il n'avait pas imaginé qu'elle le toucherait autant. Il savait ce qu'elle traversait et la force qu'elle témoignait, alors de la trouver si vulnérable à cet instant faisait renaître ce besoin protecteur qui avait toujours accompagné ses sentiments amoureux.
Elle ne disait rien, elle vivait pleinement l'instant présent comme une évidence, un souffle qui l'emportait vers l'avant. Elle s'était blottie contre lui avant de s'écarter pour pouvoir le regarder pendant que ses mains allaient à la découverte de son visage. Sa chemise trempée lui collait à la peau, elle défit les boutons un à un pour pouvoir caresser son torse et entremêler ses doigts à sa toison. Lui faisait remonter doucement ses mains sous sa robe, de plus en plus haut. Tandis qu'il se jouait d'elle avec ses doigts en son intérieur, elle caressait son sexe gonflé qui s'appuyait contre elle. Même si leurs soupirs n'avaient nul témoin, ils finirent par se lever et quitter les bords de Seine. La pluie continuait mais plus doucement. Trempés, ils dégoulinaient tout à la fois de désirs ardents que ce tête à tête se prolonge et s'étende dans une chambre d'hôtel mais aussi d'appréhension face à cette spirale qui les aspirait.
Arrivés dans la chambre impersonnelle du premier hôtel trouvé, ils se trouvèrent mal à l'aise dans ce nouvel environnement. Il fallait gérer le flottement qu'ils ressentaient. Au fil du rasoir, les petits riens ressentis lors de cette première rencontre pouvaient faire avorter tout rapprochement possible comme tout aussi bien décupler l'envie de s'attarder un peu, voire plus. En guise de détournement il lui proposa de passer commande. Elle accepta avant de s'esquiver dans la salle de bain. Elle avait besoin d'un temps à elle. Elle fit couler un bain et s'y réfugia. Il attendit qu'on leur livre la bouteille demandée. Ce temps là sans doute leur était nécessaire pour analyser ce qu'ils venaient de vivre et décider de la suite à donner. Il la rejoignit avec deux verres. Il la fit se lever pour qu'elle puisse voir son regard sur elle, sans concession. Il lui commenta toutes les parties de son corps avant de se déshabiller à son tour, face à elle dans la lumière blafarde du néon qui ne les épargnaient ni l'un ni l'autre.
Cette crudité des corps admise, ils purent enfin libérer tous deux une sensualité inventive à fleur de peaux et de chairs frémissantes. L'incandescence des regards faisaient frissonner leurs sens réveillés. Leurs corps se cherchaient, s'effleuraient, s'attardaient, se câlinaient d'émotions en plaisirs indicibles. A la tangente entre une brève rencontre et une possible prolongation, leurs grains de peau se découvraient, se jouissaient. Ils dévoilaient ainsi les blessures tues et s'apprivoisaient dans le tumulte de la jouissance. Ils n'étaient pas surs de ce qu'il adviendrait de ce rapprochement mais cette rencontre, véritable mise à nue, resterait un baume sur leurs meurtrissures à vif de cinquantenaires non épargnés par les vicissitudes de la vie et les drames intimes. Grâce à elle ils entrevoyaient déjà qu'ils pourraient à nouveau aimer la vie, et peut être s'aimer un peu.
↧