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Passemoidon par Kunu

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Madame Gonfion est une petite femme brune, d’un âge incertain, qui colore ses cheveux en « praliné» et utilise un fer à lisser pour raidir des anglaises qui repoussent après chaque coupe et lui donnent un air de vieille enfant. Elle et moi (nan pas moi, lui) avons partagé jadis une sincère fraternité sexuelle, ainsi nommait-t-elle ces échanges sauvages dont nous sortions épuisés, parce que madame Gonfion aime à donner à toute chose une plus value morale, et qu’elle trouve que fraterniser sexuellement est tout de même mieux que b … ou s’e …… ou s’a ….., dont j’abrège volontairement les vulgaires sonorités car ils n’ont pas leur place dans cette petite chronique de bord de mer où tout nous aspire à l’élévation de la pensée. Dès qu’elle eut convenu de l’étiquetage moral et se fut assurée de sa cohérence dans la pratique, madame Gonfion nous autorisa de jolis «passemoidon» car non seulement il fallait qu’elle étiquette avec fraternité, mais également qu’elle codifie le nom donné à ces rendez vous coquins afin de les rendre supportables à sa propre conscience. « Que pensez vous d’un passemoidon en fin d’après midi ? » Le passemoidon avait quelque chose de léger et d’inoffensif qui traversait les salons et les assemblées sur les plages dans l’indifférence générale, ainsi pouvait elle proposer des passemoidon en toutes circonstances. Si d’aventure quelqu’un s’interrogeait sur le sens du passemoidon, madame Gonfion évoquait un bain thalasso thérapeutique à qui elle avait donné un petit nom et cela ne surprenait personne ; madame Gonfion avait le chic pour toujours surnommer l’indicible. Nos passemoidon (invariables parce que singuliers) furent sensationnels. Les meilleurs avaient lieu en fin d’après midi. Madame Gonfion rentrait de la plage couverte de sable et de sel et se dénudant de son paréo, imitait le bruit des sirènes (inimitable ici), tandis que je jouais Ulysse. Plaquant mes mains sur mes oreilles et faisant mine de résister à l’appel du chant fatal je me tordais de douleur, puis cédait enfin dans un élan passionné. Ah, étions nous fous. Mais madame Gonfion devint ennuyeuse. Elle refusa de jouer encore à la sirène et exigea du planplan. Elle voulut m'emmener sur la plage participer aux patati patata et m’ennuyer avec ses amis qui passaient des heures interminables à jouer aux osselets. Les conversations étaient horriblement bruyantes, chacun ayant toujours quelque chose d’urgent à raconter. On se targuait d’être l’élite de la plage, on avait dans son panier antillais des idées qui s’alignaient sur 500 pages, quelques indécrottables philosophes, deux ou trois poètes grandiloquents et le dernier Houellebecq dont la morosité fatigue tout le monde, mais comme on ignore encore de quoi sera fait l’avenir on reste morose tant que la mode l’exige, un tient vaut mieux que deux tu l'auras. De la fraternité sexuelle nous passâmes à la fraternité tout court puis à rien du tout, partageant ainsi le lot commun des passants éphémères, tout occupés à mener jusqu’à son terme l’œuvre de leur vanité.

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