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Rien que du sable par Kunu

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Sur le quai de la gare, madame Gonfion, Raoul Wickman, Allison Foxet et Philippine Azoar se tiennent sagement alignés, le regard vague, une main levée au dessus de la tête en signe d’adieu. Je les ai transformés en statues de sable et j’ai dit à la mer de les emporter à la prochaine marée. Cette nuit, ils ont fait un feu sur la plage, se sont enroulés dans des couvertures et endormis serrés les uns contre les autres. Ils ressemblent à tout le monde, ils ne veulent pas que les lignes parallèles ne se rejoignent jamais. Alors ils les font dévier de manière à ce qu’elles se touchent, s’enlacent et fusionnent, quitte à ce que la fusion provoque des étincelles. Ils ont beau être ridicules et grotesques, des « warriors de la vie » dit en se moquant Allison Foxet, ils ont beau être d’un autre temps, avec leurs breloques et leurs principes, ils ont comme tout le monde un cul qui chie de l’angoisse liquide lorsqu’ils se sentent aspirés par la mort, ou que leurs enfants, leurs parents, ou leurs amis disparaissent de leur monde, ou lorsqu’ils se sentent méprisables ou même seulement ridicules. Ils sont riches, ce sont des héritiers. Leurs enfants n’ont rien d’autre à faire qu’attendre l’héritage. On les a éduqués afin qu'ils n'aient qu'une seule aspiration : faire fructifier ce qu’ils recevront le moment venu. Alors ils espèrent la mort pas trop tardive de leur parents et crèvent de culpabilité d’avoir eu seulement cet espoir pourri. Et s’ils se serrent autour des feux sur la plage, c’est parce qu’ils sont ensemble dans une solitude crasse. Ils ne possèdent pas de fortunes telles qu’ils peuvent occuper leur conscience en achetant des îles, des avions, des armes ou des partis politiques. Ce sont des fins de races nées dans une société qui produit de la bile et vomit de la misère. Y sont ils pour quelque chose ? Sans doute, mais ils sont là semblables à tout le monde, ont une haute idée de la responsabilité collective et même de la responsabilité individuelle, surtout lorsqu’il s’agit de celle du voisin. Ils vivent dans des bunkers de luxe qu’une farandole de caméras entoure de tous côtés. Ils sont détestés depuis toujours, ont beau avoir de l’entraînement, cela ne les empêche pas pour autant d’en souffrir. Je ne les ai inventés ni savants, ni informés, ni pratiquant les modes artistiques avec enthousiasme. Seul Raoul Wickman est un lettré de longue date, discret et plutôt drôle. La littérature lui a donné une certaine tenue. Elle lui a appris à se tenir à distance de toute chose, de tout être, de toute opinion, à résister à la trompeuse affinité et à cultiver le quant à soi sans excès d’orgueil. De ce fait, Raoul Wickman passe le large de son temps à se distraire avec des tempéraments fantaisistes ou raffinés. Il a compris depuis longtemps qu’il était seul et que n’ayant pas la nécessité du travail, il lui fallait faire preuve de talent pour prendre cette existence suffisamment au sérieux et la vivre sinon pleinement, du moins avec le plaisir et le respect qu’elle mérite. Au départ, Raoul Wickman et sa bande devaient être des dealers endormis sur une plage non loin de Calais. Ils n’avaient pas un rond et passaient leurs journées sur leurs blackberry à envoyer des textos codés pour signaler l’arrivée de chargements de dope en provenance des baltiques. Ils passaient leur vie à dormir et à attendre la dope. Ils avaient les dents si pourraves qu’aucune fille ne voulait s’approcher d’eux à moins de trois mètres. Les parents n’étaient pas du tout laxistes. Ils avaient juste conscience de leur impuissance et n’en faisaient pas un drame. Généralement, un petit frère ou une petite sœur venait consoler le ratage du premier. Pour leur donner du volume je les aurais caricaturés, ils n’auraient pas pratiqué le passemoidon mais le one shot de la mort qui tue. Quoiqu’il en soit, ils auraient été aussi ridicules, aussi trouillards et aussi peu conscients des mondes qui les entourent. Ils auraient prêché je ne sais quel principe au nom de la liberté et défendu des valeurs débiles, comme le droit à tous les excès sans limite « pourvu qu’on emmerde personne ». Mais Raoul Wickman aurait aussi pu être dans un camping trois étoiles avec sa femme et ses enfants, astronaute ou généticien, ou tôlier zingueur, chanteur d’opéra comique ou rien. Qui fut il, la mer l’aurait emporté, lui, ses semblables et tous les autres. Alors autant partir avant que la mer monte. Je remercie vivement ceux qui ont supporté madame Gonfion et consors. Je vous souhaite une belle fin d'été :)

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