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LE MONDE DU MANAGEMENT ET LE MANAGEMENT DU MONDE par Jules Elysard

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Cette contribution m’a été inspirée par le texte du Dreamer (Consommez ou mourrez), et par quelques réactions qu’il a provoquées, et que j’ai trouvées quelque peu déplacées. J’ai choisi pour prétexte un livre plus ancien (1991) de Nicole Aubert et de Vincent de Gaulejac (dont il question dans une ou deux réactions sur le texte du Dreamer) : LE COUT DE L’EXCELLENCE. Ce titre est un détournement des titres français de deux livres de Tom Peters publiés : en 1983 : LE PRIX DE L'EXCELLENCE (In Search of excellence, 1982) ; et en 1985 : LA PASSION DE L'EXCELLENCE (A passion for Excellence, 1985). Le livre est l’étude universitaire d’un phénomène contemporain, la mode managériale. Personnellement, je n’ai pas appris grand-chose dans ce livre. J’y ai surtout trouvé la confirmation théorique de pratiques que je rencontrais en tant que salariés, et quelques formulations de réflexions que je me faisais plus ou moins confusément (le système managinaire, l’adhésion passionnelle, le système paradoxant, l’injonction à être bien, etc…). Mais c’est sans doute pour ça que l’on continue de lire, pour mettre des mots ce que l’on vit ou que l’on subit. Le livre s’inscrit dans une démarche universitaire visant à décrire des phénomènes apparemment nouveaux du point de vue de la sociologie (Jean Pierre Le Goff : LE MYTHE DE L'ENTREPRISE, 1992 ; LES ILLUSIONS DU MANAGEMENT, 1996 ; LA BARBARIE DOUCE, 1999 ; LA DEMOCRATIE POST-TOTALITAIRE, 2002) ou de la médecine (Christophe Dejours : SOUFFRANCE EN FRANCE, 1998 ; Marie France Hirigoyen, LE HARCELEMENT MORAL, 1998). Les phénomènes sont donc généralement explorés sous deux thèmes : la culture ou l’idéologie managériale, d’une part; la souffrance au travail, d’autre part. La nouveauté est apparente dans le sens où les pratiques managériales (autorité, contrainte, manipulation, persuasion…) et la souffrance au travail ne sont pas nouvelles. On en trouve des descriptions chez Marx, chez Engels, mais aussi chez Adam Smith. La nouveauté réside dans la façon dont elles sont présentées, non pas tant par les universitaires français susnommés, mais par les théoriciens américains du management. (1) Je leur fais beaucoup d’honneur en parlant de théoriciens. En dehors de Peter Drucker, qui fait un peu de théorie et s’intéresse à l’histoire, je vois surtout des idéologues. Drucker lui-même, qui prétend et affirme avoir fondé une science, développe surtout une idéologie. Le management était et reste une pratique du pouvoir (de la direction, de la domination) : LE MANAGEMENT DES AFFAIRES. Il est devenu dans les années 60-70 une idéologie : LE MANAGEMENT DES RESSOURCES HUMAINES. Tout s’est passé comme si, au tournant de la moitié du siècle dernier, une réflexion avait été faite une centaine d’années écoulées (1840-1940) qui avaient vu la succession des mouvements sociaux, la naissance du mouvement ouvrier, les réactions des classes dominantes ; et le développement d’une IDEE en IDEOLOGIE (LE SOCIALISME), jusqu’à sa mise en pratique dans les années vingt comme construction du socialisme dans un seul pays, et dans les années trente comme national-socialisme. Je sais que là je fais de la peine à une bonne conscience de gauche. Le totalitarisme, à quoi on a parfois réduit le socialisme, c’est aussi le tronc commun sur lequel s’est fondée une nouvelle idéologie, le MANAGEMENT (des ressources humaines). Deux théoriciens méritent l’attention au tournant des années 40. Le premier est un peu le grand frère de Peter Drucker, austro-américain comme lui : il s’agit de Schumpeter. Il avait au début du siècle fondé une théorie, une mystique de l’entrepreneur. En 1942, il publiait CAPITALISME, SOCIALISME ET DEMOCRATIE. C’est dans ce livre qu’il donne sa fameuse recette de la DESTRUCTION CREATRICE. Mais c’est dans ce livre aussi qu’il exprimait sa crainte de l’avènement inéluctable du SOCIALISME et imaginait des moyens de l’éviter (les temps ont changé). En 1947 paraissait en France (avec une préface de Léon Blum) le livre du trotskiste repenti James Burnham : L'ERE DES ORGANISATEURS. Le livre avait été publié aux USA en 1940 sous le titre : THE MANAGERIAL REVOLUTION. Vingt ans plus tard, bien sûr, le titre aurait peut-être été traduit littéralement, LA REVOLUTION MANAGERIALE, mais à l’époque le management n’était pas encore en France une mode, et le mot restait pour les Français un américanisme. Le livre de Burham, qui emprunte au trotskiste non repenti, quoique dissident, Bruno Rizzi, a le mérite d’établir un parallèle entre trois phénomènes : les fascismes, la bureaucratie russe et le New Deal. Avec la fin de la guerre, les fascismes ont apparemment succombé ; les démocraties occidentales et la bureaucratie russe ont apparemment triomphé, et elles ont effectivement coexisté. Les dissensions, les divisions, les luttes réelle sont apparues à l’intérieur des systèmes : luttes ouvrières, généralement étouffées, mais aussi lutte entre les « classes » qui se partageaient le pouvoir. Cornélius Castoriadis a décrit ces luttes dans l’univers soviétique (2) ; John Kenneth Galbraith les luttes dans LE NOUVEL ETAT INDUSTRIEL(3) . La technostructure est un autre nom pour la classe, la sphère managériale des années 60, qui alors semblait avoir pris le pas sur la sphère financière. Mais on sait que depuis la sphère financière a repris le pouvoir et en 1982 déjà un pauvre gourou du management comme Tom Peters est contraint de reconnaître : « Nous n'avons pas la prétention d'expliquer les perfidies du marché ou les caprices des investisseurs ». Et désormais les salariés subissent la double pression de la sphère financière (pression sur les salaires, délocalisations, mondialisation, globalisation) et de la sphère managériale (respect des processus idiots, jeux de rôles, exigences du savoir-être). Cette pression ne se réduit évidemment pas aux salariés des grandes entreprises et des administrations. Nombre de petites entreprises, « luttant pour leur survie pour beaucoup d'entre elles », dirigées par « des chefs d'entreprises littéralement "déchirés" à la perspective de devoir licencier », sont en réalité des sous-traitants des plus grandes. Elles subissent également cette double pression de la sphère financière et de la sphère managériale. La seule différence, c’est que le temps et les moyens leur étant comptés, le jargon managérial y est moins répandu. Parfois, cependant, le patron déchiré est contraint de subir les pressions d’un acheteur ou d’avoir recours à un consultant. Quant à moi, je ne vais pas me répandre plus longtemps. J’entends déjà dire que j’aurais pu être plus bref. Ce n’était qu’une contribution à la critique du monde du management (et du management du monde). A subir. (1) Toutes les théories du management (Carole Kennedy, 1991). L’introduction est titrée : "L'ère des gourous" (2) La revue SOCIALISME OU BARBARIE, puis ses publications ultérieures (3) 1967 sous titré Essai sur le système économique américain.

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