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Je vais bien, le temps fait pas par Letaonmonte

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Il est 20h30, il pleut. Je suis prostré comme un nouveau né en couveuse sous la lumière bleuâtre de la télé, engoncé au fond du canapé cuir pleine fleur, l’appartement est plongé sous un duvet de silence. Il est bien mon appartement. Je m’y sens bien même si on a dû réduire la salle de séjour pour faire une chambre pour le bébé. Mes filles avaient chacune la leur, à l’arrivée du premier elles en ont partagé une seule, puis le second est arrivé, il a fallu faire pousser des murs. Malgré cela, on n’est pas à l’étroit. Sauf peut-être quand mes filles sont là avec les petits. Elle a un peu de mal avec les ados, je peux comprendre, elle ne fait pas trop d’effort, alors ça piaille, ça invective, ça fuse et l’espace se rétrécit. Il est 20h58. Il pleut toujours et pas de réponse à mes sollicitations. Déjà trois messages envoyés et deux appels tombés sur messagerie. Ça craint de pas répondre. C’est pas gracieux. J’m’en fous après tout. Je finis de lire mes mails et je vais dîner chez René. Elle me fait chier ! Avant je me sers un autre double sec. Je m’en tape du régime. Les petits sont chez sa mère, les grandes chez la leur. Si j’appelais la mienne ? Ah non, c’est samedi, elle doit être de sortie. elle vit comme une jeunesse, dans un bled ça d’accord, mais elle s’éclate, libre. Elle tient mieux qu’un chrysanthème en pot de chez Truffaut. Les vieux ont une fraîcheur que je leur envie, plus rien à perdre, tout se conjugue au présent, le présent c’est cadeau ! L’autre jour Valérie m’a demandé si je n’aimerais pas essayer une couleur. Une couleur pourquoi faire ? La jeunesse c’est dedans la tête, pas dessus comme une moumoute. J’ai des cheveux en veux-tu en voilà, qu’elle aille se faire mettre avec sa couleur. Elle m’a fait les pattes, ciselées à la Bartabas, c’est très bien comme ça. Tiens, je vais me changer avant d’aller dîner. Toujours rien. Il est 21h35. Ils ne perdent pas la main chez René, ça faisait envie ce carpaccio de thon rouge en décoction de citronnelle. Chaque plat est un poème, je te jure, même les coquillettes ils en feraient du Mallarmé. Je suis rentré et je me suis fait des pâtes à la maison, toujours pas là. Je ne comprends pas qu’elle ne m’appelle pas. Sans compter que je pourrais m’inquiéter. En fait je ne suis soucieux que de mon bien-être mis à mal par la vacuité et je m’en veux de ne pas savoir réagir autrement que par la soumission. Attendre qu’elle se manifeste, comme un chien de salon suit d’un regard fébrile les mouvements de sa maîtresse jusqu’à ce qu’elle daigne lancer un demi-sucre, comme pour suspendre son invisibilité une seconde Si elle ne m’envoyait, ne serais-ce qu’un message, je pourrais aller le lécher, le mordiller doucement, enfin rassuré, je pourrais m’enrouler dans un semblant de quant à soi et m’endormir sereinement. Le sucre est cause de cécité chez les canins, quand elle en aurait marre de son chien aveugle, elle lui lancerait du chocolat pour l’achever d’une douce euphorie fatale. Je n’aime pas le chocolat, je lui préfère le cognac avec une tasse de café noir, histoire de digérer, je me sens ballonné. Cinq appels en absence, toujours rien. Il est 23h58. Je n’ai qu’à moitié envie de dormir, mon autre moitié se fout de ma gueule et m’ignore sciemment. Suffirait que je pense à la courbure de son cul et je banderais sans difficulté, ça m’aiderait à oublier cette attente stupide, à croire que ça me plaît de souffrir, qu’est-ce que je cherche à me prouver bon dieu ? Ce fond de romantisme va bientôt s’évaporer comme ce cul de bouteille va s’évanouir dans mon gosier, un éthylisme de plus et pourquoi pas ? Pétard, son cul ! Si je pouvais distiller ses pets, j’en ferais ma liqueur préférée, je suis accroché à cette femme pour des raisons qui puent et je la laisse recouvrir cette merde de vie de couple d’un vernis bleu layette. Je pourrais jouir avec n’importe quelle fille à l’heure qu’il est. Je me souviens d’être tombé amoureux comme un fou, je n’avais pas trente ans, je sautais tout ce qui bougeait, tout ce qui s’offrait sans complexe, la liberté c’était la nouvelle tendance, même les filles coincées portaient du liberty Cacharel sur des petits seins sans soutif, jusqu’au jour où j’ai rencontré ma première vraie femme, je ne pouvais plus en toucher aucune autre. Une armée de top models aurait pu me sucer toute la nuit sans arriver à me faire dresser d’un poil, c’est comme l’épagneul breton, grand leveur, il peut se contenter d’une vie d’appartement si on le sort souvent… Là je sens que je pourrais poinçonner n’importe laquelle, juste pouvoir lâcher les chiens et m’oublier dans le sommeil. 4h38, je me suis assoupi, j’ai bavé sur le pleine fleur, ça fait une marque comme un dessin de Rorschach, un papillon baveux. J’ai composé le numéro d’une poule, une que j’avais rencontrée deux ans en arrière. En bon chien de Pavlov, ma pine s’est immédiatement mise au garde à vous rien qu’en entendant son Allo ? L’épagneul est un bon chien d’arrêt. 12h37 : Ding, dong, ding, un message : Je ne rentre pas J’ai répondu : Ah bon Plusieurs Ding, dong, ding à la file me fracassent les tympans, j’éteins cette saloperie et je me rendors. 14h12, après la douche je range l’appartement, je lave les verres, je sors acheter des clopes et je commande un café en terrasse, il ne pleut plus. Je lis la presse au soleil, c’est la guerre dans le monde et je sens dans mes viscères que ça monte. 15h30 je bosse et je bois son thé vert entre deux cafés, je me lave l’intérieur. J’entends les rires des enfants derrière la porte d’entrée avant le son de la clef dans la serrure, ça me fait l’effet d’une clef à molette qui me vrille le bide. 19h30, les petit sont lavés, nourris, couchés, demain y’a école. 19h35 « Il n’y avait aucune raison de s’inquiéter. Si je ne t’ai pas répondu c’est que je n’en avais pas la possibilité et je t’avais prévenu qu’après je devais raccompagner mes clients au Lutétia. La soirée s’est prolongée, j’ai dû les raccompagner à l’aéroport ce matin c’est tout. Je ne vois là aucune matière à polémiquer. Ce n’est pas comme si tu ne connaissais rien à mon travail, tu sais très bien comment les choses se passent, le client est roi et tu le sais, quand je travaille, il n’y pas de place pour le privé. Tu n’as aucun droit sur moi, encore moins sur l’exercice de ma profession et bla et bla et bla » « Ses » clients, je les connaissais bien, c’était les miens avant, pas vraiment le genre à vider le mini bar d’une chambre d’hôtel, même au Lutétia. Le mensonge lui crispait les mâchoires, elle déballa son arsenal toutes griffes dehors. Cette attitude ne lui ressemblait pas, habituellement moins volubile. Plus elle parlait, plus elle semblait me singer en déversant un flot que je percevais comme ma propre dialectique, un copié-collé d’un discours que j’aurais pu lui asséner sans avoir à mentir, peut-être était-ce sa façon de mieux se faire entendre mais j’en décidais autrement et comprenais qu’elle n’avait aucune personnalité. Qu’elle n’aurait jamais aucun talent, même pas celui de mentir correctement et encore moins ceux dont je l’avais affublée, aveuglé par le fantasme de voir en elle plus qu’un joli cul bien proportionné. Elle avait de très jolies fesses, cela était indéniable et les maternités répétées n’avaient en rien modifié une morphologie d’adolescente dégingandée qui m’avait tant séduit. Je la regardai sans piper, je sentis le vide sous mes pieds, instinctivement mon corps glissa le long du mur, mes jambes se pliaient d’elles-mêmes et c’est seulement là, arrivé au niveau zéro que je pris la mesure de ce que nous étions en train de vivre et qui m’accablait au point de ne plus pouvoir tenir debout. Elle se tut et tourna les talons. 20h05, je n’ai pas faim. La discussion ne fit que s’envenimer dans la cuisine, à couteaux tirés, chacun sortant son épingle du jeu pour mieux piquer l’autre. Claquent les portes, grincent les gonds. Je veux fuir. Je ne dormirai pas sur ce canapé un fois de plus. Je me désape vite fait dans la chambre et me roule dans la couette avant quelle n’en aie l’idée. Je la sens s’approcher, passer ses doigts dans mes cheveux, alors je fut pris d’une sorte de transe et je la chevauchai à la cosaque, à sec. Je l’ai prise violemment, et j’avais beau voir son visage grimacer, se griser de douleur, je m’engouffrai en elle de tout mon poids, de toute ma force j’éjaculai en elle les cendres de notre relation incendiaire. Nous avions dévoré l’euphorie de l’hallali et les exultations du sexe, il ne nous restait plus que l’os de l’aporie à ronger sur ce barbecue aux braises refroidies, c’est l’image qui me vint, risible autant que cynique. La vingt-cinquième heure allait me sonner plus que je ne m’y attendais et le temps nous battrait jusqu’à faire de cette histoire une morne banalité dont seuls nos avocats sortiraient vainqueurs.

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