« Depuis longtemps je me vantais de posséder tous les paysages possibles. » (Arthur Rimbaud, Une Saison en Enfer)
Tout était venu du Rêve. Tout était venu de ce matin là. La terre était lisse comme un miroir, le soleil éclaboussait de toutes parts, une brise bleue traversait le ciel, les choses navaient pas dombre, le mystère planait avec le silence sur ces vastes étendues désertiques.
Ejecté de la nuit infinie, il émergea, informe et visqueux, aveugle et enveloppé de boue, et sy démenant sans savoir, comme on nage, sen pétrit un visage, se façonna deux jambes, deux pieds, un corps tout entier. Enfin il se dressa et fit un premier pas.
Au premier pas, il se nomma lui-même. Comme il lavait rêvé, il choisit de porter le nom de l Oiseau qui volait dans son rêve.
Au second pas, il nomma la terre sur laquelle il marchait. Il lappela Désert.
Au troisième pas, il se retourna et vit les traces de ses pas derrière lui. Il sut que cétait le commencement. Que la piste quil allait tracer serait la sienne. Il lui donnerait aussi son nom.
Il savait quil donnerait un nom à chaque chose qui surgirait devant lui. Ou plutôt quil ferait surgir, en la nommant dabord, chaque chose. Il hésita. Il ne savait pas vraiment. . Cest ainsi « quen posant le pied gauche il nomma une fleur. En avançant le pied droit il nomma une pierre ».
Ainsi il nomma Colline la butte de glaise doù il était sorti, et Ruisseau le filet deau qui filtrait den-dessous, il nomma lEn-dessous, et nomma lAu-dessus, il nomma la Plaine, il nomma le Ciel, il trouva même un nom pour le Vent.
Cest un vent de nulle part qui emporta son nom dans les airs, et arracha tous les mots de la bouche de lHomme, et les dispersa comme une pluie détoiles dans le monde tout neuf. Alors lHomme se jeta dans le vent comme on patauge, en moulinant lair de ses bras grands ouverts, et y jeta tous les sons qui lui vinrent, les lançant au hasard, les yeux fermés, les oreilles cassées par le bruit infernal que les sons en tombant faisaient sur la terre, et le soir, quand se relevèrent enfin ses paupières brûlées par le vent et le sel, il put contempler un paysage. Le sien.
Comme un lieu arraché au fond du Chaos, recouvert dherbes et de ronces sauvages. Et de cailloux. Et de rochers dressés droits vers le ciel. Il vit quil avait marché longtemps car derrière lui la piste serpentait, semant à droite un talus, à gauche une dune, et la bande de sable qui se déroulait sous ses pas faisait comme un tracé. Comme un repère. Il lui donna un nom. Ce serait sa piste. A lui et à tous ceux qui viendraient après lui. Et qui marcheraient dans ses pas. Ce serait lui lAncêtre. Qui montrerait la route.
En appelant les choses, elles se mettaient à vivre. Comme si elles sortaient de dessous la terre. Comme si elles nattendaient que cela : quon les appelle
Alors il les appela toutes. Une à une. Rivière, Montagne, Plateau, Arbre, Animal, Serpent, Kangourou...... Il laisserait dans son sillage, ce vaste territoire du Rêve et tous ses mots. Et même des notes de musique. Car maintenant il chantait aussi le nom des choses, et leur place et leur couleur. Il puisait dans ses rêves la nuit, pour inventer au matin le tracé du chemin.
Il suffirait désormais de connaître le chant pour retrouver la piste. Le chant comme boussole.
Le chant comme passeport. Laissez-passer. Le chant comme titre de propriété. Car connaître le chant cétait appartenir au clan qui détenait la terre. Cétait surtout ne pas se perdre. Car dévier de sa route cétait entrer en territoire interdit et risquer la mort.
Le Chant des Pistes. Songlines. Itinéraires chantés. Carte totémique. Carte Sacrée.
« En théorie, du moins, la totalité de lAustralie pouvait être lue comme une partition musicale. Il ny avait pratiquement pas un rocher, pas une rivière qui ne pouvait être ou navait pas été chanté. «
« Plusieurs IIiades et Odyssées, entremêlées en tous sens » (Bruce Chatwin Le Chant des Pistes)
« En amenant le monde à lexistence, les ancêtres avaient été des poètes dans le sens originel du mot poiêsis la « Création »....Celui qui partait... marchait dans les pas de son ancêtre. Il chantait les strophes de lancêtre sans changer un mot ni une note - et ainsi recréait la Création. » (Le Chant des Pistes)
Des itinéraires chantés, peut-être y en a-t-il sur tous les continents, à travers les siècles......Qui peut dire.......
Dautres tribus.....
« Il y avait un chant pour aller en Chine et un autre pour aller au Japon, un chant pour la grande île et un autre pour la petite. Le chant était la seule chose quil fallait apprendre pour savoir où lon se trouvait. Pour revenir, on se contentait de chanter le chant à lenvers... » (Le Chant des Pistes)
« Cest comme ces marées qui vous poussent sur la grand-route. Je suis comme la sterne arctique. Cest un oiseau. Un magnifique oiseau blanc qui fait laller-retour entre le pôle Nord et le pôle Sud. » (Le Chant des Pistes)
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