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déambulation dans mon quartier, parmi les vivants, le jour des morts par Abicyclette

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1- Nous sommes un 12 août, jour de grande chaleur. Au 20 rue des écouffes, second étage, se meurt un célèbre peintre classique, l’austère Philippe de Champaigne. Il semble qu’il lui était venu une aussi soudaine que malheureuse envie de nouilles sautées aux crevettes accomodées à la sauce d'huître. Il existe à cette même adresse, au rez-de-chaussée, un restaurant déjà repéré par les services d'hygiène, "Ji Xi" spécialités asiatiques, d'apparence fort miteuse, arborant une vitrine ornée de plats et de fleurs très artificiels ainsi que 2 néons rose-fluo. 2- Plus à l’est, à l'angle de la rue de Sévigné et de la rue du Parc Royal, un square. Le roi Henri II y entame une atroce agonie. Lors d'un tournoi chevaleresque - joyeux badinage - une lance ayant trouvé au préalable l'étroit chemin de sa visière vient de lui perforer la face. Pourtant il est indiqué dans le règlement des parcs et jardins de Paris, affiché à l'entrée dudit square et signé du seigneur Delanoé : "la circulation des chevaux s'effectue uniquement sur les espaces aménagés et doit rester compatible avec la sécurité des promeneurs". De plus " l'utilisation d'armes de toute nature y compris frondes, arcs et boomerangs est prohibée". On peut aussi penser que par ses hurlements le roi Henri II contrevient au fait que "les bruits gênants par leur intensité, leur durée, leur fréquence, leur caractère agressif sont strictement interdits" 3- Quelques rues vers le sud, au 2 rue du Roi de Sicile, après une parodie de procès la fraîche et jolie princesse de Lamballe, premier cercle de Marie-Antoinette, se fait sortir par un groupe de fanatiques de la prison de la Grande Force, sous les yeux d’un écrivain déjà déprimé par la folie du monde – Il s'appelle Stephan Zweig et il en écrira le récit. La princesse est abattue, décapitée, dépecée et ce qu'il en reste traîné dans la ville sous les vivats d'une foule hystérique. Les sauvages se transportent quelques minutes plus tard à une cinquantaine de mètres plus au nord, 4 rue des Rosiers devant une façade régulière et austère au frontispice indiquant « Ecole de travail ». Le directeur et les élèves sont arrêtés sans délai et déportés dans le camp d’extermination d’Auschwitz. L’un des barbares divague encore quelques instants dans le quartier juif, une grenade en main. Il dégoupille l’objet et le lance comme un automate chez Goldenberg, à l’angle de la rue Ferdinand Duval. Les grandes vitres du restaurant explosent et les petits carreaux émaillés de jaune du bas de la façade se couvrent de stupeur et de sang. 4-Sur le parvis de l’église Saint-Paul-Saint-Louis, au 99 de la rue Saint-Antoine, Monsieur Marc-Antoine Charpentier sort de l’office célébré par les Jésuites, desquels il est au service depuis une décennie. On vient de donner l’un de ses grands motets à double chœur. Il fait un pas de côté et esquisse un salut à mademoiselle Hugo, en robe de mariée, qui donne le bras à son papa Victor aussi droit qu'un i, fier comme Artaban. Marc-Antoine s’avise aussitôt de ma présence et, connaissant ma profonde amitié, me donne l’accolade. Je le félicite que les premières mesures de son Te Deum aient été choisies pour le concours Eurovision et l’avise que la France a reçu cette année les palmes, grâce au talent de la chanteuse Marie Myriam, son oiseau et son enfant. « Le Roy, dont la finesse du jugement artistique est connue - bien qu’il m’ait toujours préféré Monsieur de Lully - en sera content ». A ces mots, lui pressant chaleureusement la main, je lui assure que je n’ai rien écouté de plus émouvant que ses Litanies à la Vierge, qui peuvent me tirer des larmes. 5-Je me tourne en direction de la Bastille alors que d’innombrables sons de cloches se mettent à scintiller tous azimuts. Pendant que des communards les armes en main se préparent à périr dans les recoins, une invraisemblable foule bigarrée envahit la rue. On me dit que c’est fait : les Forces Françaises Libres défilent, la coupe du monde de football est gagnée. Je me laisse porter par la joie du reflux jusqu’au pied de mon immeuble alors qu’une grêleuse averse de novembre disperse en un instant tous les participants.

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