Hé Marie-Ange, quelles sont les nouvelles du pays des morts ?
Comment tes jours sécoulent là-bas sans alcool, sans ligne de coke, sans bento au repas du midi ?
Sans défonce, tes matins ont-ils enfin un goût de miel ? Tes lunes de fiel ont-elles toujours la parole ? Toujours à baratiner peut-être ? Et la chair des hommes te dévore autant qu'avant ?
Petite tueuse tu étais, mais je ne saurai jamais combien de fois les cornes m'ont poussé, ni comment ni où tu écartais les cuisses, et c'est mieux ainsi merci.
Ton nouvel amoureux sait-il danser sur le fil fragile du quotidien ? Il s'occupe bien de toi j'espère, de ton linge, de ta vaisselle, de renouveler les fleurs, d'appeler le docteur ?
Mais ton nombril le bougre, il te secoue encore l'esprit ?
Parce que devenu l'ombre de ton chien, je me demande encore où est passé l'enfant qui pleurait au fond de toi ?
Tu sais, ici sur PCC, j'ai raconté notre rencontre dans le train du Tactatatoum et ta noyade volontaire dans l'Océan. Rappelle-toi Marie Ange, il pleuvait sans cesse sur
"Le train traverse la campagne sous la pluie glacée.
Nous voici dans un de ses compartiments, à l'abri, bien au chaud.
Une dame occupe la banquette en face. Elle porte un pull-over à col roulé, un pull de laine noire
qui lui moule sa poitrine. Ses seins tressautent au rythme du tatactatoum tatactatoum...
Elle a les seins lourds, des seins d'abondance pour affamé. Des seins magnifiquement dessinés dans la laine, des seins de long séjour. Ils se régalent aux yeux des vivants, ils pointent fort sous le désir. Des gros seins fermes aux larges aréoles certainement. Des seins d'un autre monde.
Ses yeux par contre, ils ne bougent pas d'un pouce, ignorant ainsi le tatactatoum du train sous la pluie. Ils me fixent, me transpercent jusqu'au fond de l'âme. Ils sont verts comme le bleu de la mer. On y voit les nuages en balade. Sa bouche est ronde, rouge carmin. Brûlante comme un défi, avec un goût de miel et de meurtre, à se croire sur un bateau ballotté par les flots. Tatactatoum tatactatoum...
Tout au long du trajet, elle dit des conneries parfois et invente souvent des formules enchantées complètement inutiles aujourd'hui. Elle compte les moutons aussi, chante des chansons d'amour
et connaît par cur la poésie de François Villon. Elle est belle comme le jour.
Elle a dans ses poches un soleil de rechange et sur le cur un profil d'archange. Elle a sous la main mon arbre voyageur, aller-retour d'une si douce longueur. Avant elle, je n'avais pour âmes surs que la prostituée, le prolo, le clochard, l'enfant malade et l'analphabète. Et si je dis vrai c'est parce que je mens. Il faut accepter l'envol d'un cheval ou le désordre des peintres, la licorne dans le pré ou les seins de l'hirondelle. Tatactatoum tatactatoum...
Elle aime partir en voyage avec son homme. Elle aime s'abandonner dans les tunnels avec son amoureux, embuer les vitres, la banquette, tout le compartiment. Elle m'aime à la folie. Elle s'appelle Marie-Ange et c'est la femme de ma vie. Et si je mens c'est aussi parce que je dis vrai.
Le train traversait la campagne sous la pluie glacée. Ta... "
"Elle voulait voir la mer, Marie-Ange c'était son truc, sa réplique favorite. Hiver comme été, jour et nuit, encore, elle voulait voir la mer. Et le bleu, et le vert. Flux et reflux. Obsession. Mission...
J'ai enfin compris une fois arrivé sur les bords de l'océan au soleil couchant.
Incendie involontaire allumé sur les eaux salées. Le soleil rouge descendait lentement, il s'enfonçait là-bas au loin, solitaire.
Marie-Ange avait plongé droit devant, illuminée, presque embrassée rejoindre l'horizon, l'astre flamboyant qui doucement changeait d'atmosphère. De profundis en latin.
Et c'est sur ce fond d'or façon peinture qu'elle se noya volontaire.
Je veux voir la mer qu'elle disait sans cesse.
Alors voilà, c'est fait !
J'ai aimé Marie-Ange comme on aime un enfant, envers et contre tout. Tout autour d'elle, j'avais dressé des remparts pour la protéger des ennuis de la vie d'ici. Un édifice bien fragile pourtant, remparts de brindilles en fait, que le souffle du temps a dispersé au vent mauvais.
Et puis d'abord, la protéger de quoi ? Qui suis-je pour tenter d'inverser le cours des choses ? Les fleuves vont à la mer, inexorablement. Et les amoureux n'ont que leurs yeux pour pleurer. Mais ça, tout le monde le sait.
On aime parfois une femme plus fort que les nuages dans le ciel ou le bleu de la mer. C'est un feu qui brûle toujours. À la source de nos pensées, notre amour occupe ainsi l'espace en entier, au profond.
Alors noyée, Marie-Ange marche sur mes eaux alcoolisées. Morte, elle vit autant qu'avant au-dedans. Et tant pis si je mens pour dire la vérité. On fait comme on peut, désolé. "
Cela fait une éternité que tu es partie Marie-Ange et le manque fait toujours son effet. C'est drôle comment beaucoup d'hommes n'arrivent pas à finir les histoires. Ils sont toujours en amour bien des années plus tard. Les femmes elles, souvent, sont passées ailleurs. Qu'en dit le docteur Freud de ce truc ? Est-ce que tu m'aimes encore un peu ou plus du tout ? Est-ce que tu rêves encore d'être la femme qui n'existait pas ?
Oui tu vois, beaucoup de questions et si peu de réponses hélas... Peut-être que nos lecteurs voudront participer à la chose. Qu'ils ne se gênent pas surtout. Les morts sont l'affaire des vivants. Toi, tu t'en fous forcément ! Et moi, je suis fatigué maintenant, très fatigué de mentir pour de vrai.
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