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le regard de Madeleine par Novaplanet

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Bien sûr, comme tout le monde, il venait là pour qu’on le regarde. Ce qui était bien légitime car qui le regardait à présent ? Ni son chef de service, ni ses collègues de travail, ni ses quelques amis qui ne se souciaient de son existence que pour lui demander un service. Seul le regard de Madeleine… Madeleine c’était sa chatte, une chartreuse de gouttière qui, avec son regard vert d’eau, lui faisait croire qu’il était dieu sur terre. Une pleurésie foudroyante l’avait emportée, liquéfiée en moins de 48h. Alors l’absence prit consistance, le vide l’encombra, il ne cessa de se cogner dedans comme un jeune enfant aux meubles. Il se mit en quête de trouver un autre regard. Remplacer le vert envoutant de Madeleine. Il rédigea une annonce qu’il recommença vingt fois avant d’aller la punaiser sur le liège du tableau d’affichage de l’association, loi 1901, « Les Points Communs du Coin ». Il se disait amateur d’art depuis qu’il passait tous ses w.e. entre mai et octobre à écumer brocantes, vide-greniers, salles des ventes, et l’hiver il tournait les pages de rayonnages virtuels, eBay, le Bon coin, Tout y passe et tout son temps libre y passait. L’ampleur de sa bourse ne lui permettait pas d’acheter, mais regarder, faire mine de, s’intéresser, discuter le prix pour toujours finir par reposer l’objet sur l’étal en affichant une moue sans un mot de plus, parfois même un marchand lui courait après, révisant son offre à la baisse, mais il l’ignorait en bombant le torse dans une attitude de dandy outragé et cette pantomime aurait presque pu lui suffire comme si le paraître l’emportait définitivement sur l’avoir, s’il n’y avait eu ces longues soirées dans la semaine où il se sentait aussi invisible que ses quatre murs restaient muets. Elle téléphona un mardi soir, il s’en souvenait car le mardi il passait chez l’italien pour acheter des pâtes fraîches et comme elles étaient faites à la demande, il arrivait chez lui toujours un peu plus tard que d’habitude et ce mardi là, il entendit la sonnerie du téléphone alors que sur le palier il n’avait pas encore inséré la clef dans la serrure, cela provoqua chez lui une telle panique qu’il renversa le pochon et les spaghettis se répandirent sur le paillasson comme des alevins, il eut tout juste le temps d’ouvrir pour se ruer sur le combiné. « Allo ? … Lui-même… C’est exact… Entendu, voyons-nous… 19h, le Balto, la terrasse en face des Beaux Arts ? … C’est noté. Je vous remercie chère Madame… et moi Jean-Pierre… de même, oui, à vendredi Marie-Odile ! » Ses yeux souriaient comme deux nénuphars épanouis sur une marre taciturne. Son hameçon avait appâté. Marie-Odile avait dû arriver tôt au Balto s’il en croyait le cendrier sur la table où croupissaient une ribambelle de mini poissons blancs étêtés, bouts écrasés et carminés de rouge à lèvres comme les stigmates d’une lutte saignante. Un instant son esprit s’assombrit, il pensa à la concurrence : Marie-Odile avait-elle passé l’après-midi à effeuiller les rendez-vous avec des hommes en quête de regard comme lui ? Marie-Odile effaça cette sombre pensée : « Excusez-moi Jean-Pierre, ici c’est un peu mon bureau, j’y passe la journée pour travailler. Mais je vous en prie, installez-vous, le labeur est terminé » , elle éteignit son mobile d’une pichenette en le regardant droit dans les yeux. Ils discutèrent longuement, elle commanda un Chardonnay et lui un Bourgueil, les deux verres semblaient deux oiseaux face à face qui faisaient connaissance sur le marbre tandis qu’eux-mêmes gazouillaient. Elle insista pour payer la note, comme si son honneur en dépendait, puis ils rentrèrent chacun chez eux après s’être promis un prochain rendez-vous « plus constructif », comme elle avait dit. Marie-Odile le rappela une semaine plus tard, ils s’entendirent sur le jour et l’heure. Elle lui demanda de prévoir au moins trois heures devant lui, ce qui augurait du meilleur. Cette fois, une anguille sauta comme un sourire fugace entre les deux nénuphars rieurs. Le jour J, il se prépara avec soin, fit une toilette plus que méticuleuse, arracha les poils disgracieux qui embroussaillaient son visage, lima les ongles des mains et coupa ceux des pieds. Pris soin de choisir une cravate aux couleurs chatoyantes, puis s’aspergea d’eau de Cologne au vétiver. Marie-Odile le reçut dans une pièce bien chauffée et parée de lourdes tentures suspendues. Intimidé, il se sentit un peu engoncé. Compréhensive, elle lui prit le bras et l’attira vers le sofa recouvert de velours pourpre et sur lequel reposait un tartan mauve-anis. Elle l’encouragea d’un regard doux qui semblait dire « Mettez-vous à l’aise », ils n’avaient échangé qu’un bonjour et elle l’avait remercié d’être ponctuel. Elle lui demanda de l’excuser un instant et se déroba à ses yeux derrière une porte qu’elle tira à moitié, il pouvait l’entendre. Alors il entreprit de se déshabiller, déboutonna sa chemise, plia son pantalon sur la chaise, roula ses chaussettes et quand il fut totalement nu, il vit son reflet dans le psyché, un grand corps blanc ivoire, anguleux mais harmonieux. Il vit qu’elle le regardait aussi, elle s’adressa à son image dans le miroir : « Nous y allons ? » Il opina et s’allongea sur le sofa, étendit les jambes et ferma les yeux alors qu’elle s’activait à tirer les grands rideaux. Il entendit chuchotements, raclements de gorge, tintements métalliques et froissements de tissus…Puis il sentit la main chaude de Marie-Odile qui repoussa son pied droit jusqu’à plier son genoux, tira sa jambe gauche, déplaça sa main et la posa sous son sexe, il frissonna, doucement elle lui remit une mèche de cheveux en place, c’est ainsi qu’elle prenait soin de lui sans un mot et il sentait son souffle affairé sur sa peau, puis : « Nous sommes prêts Jean-Pierre, vous pouvez ouvrir les yeux. » Face à lui, une douzaine de regards le fixaient et autant de chevalets avec lesquels il partagerait ces regards attentifs durant toute la soirée.

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