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Albert : le début de l'histoire par Caloulou

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Toulouse 1988. Le vieux monsieur dans sa cx vient de me déposer à l’embranchement de la RN 20 qui descend vers le sud. Je prends mon sac, remercie en fermant doucement la porte de l’auto. Un coup d’œil sur les panneaux de signalisation un autre sur le trafic et je traverse la route. Il est 19 h et c’est la fin du mois d’août. Le vieux monsieur m’a expliqué que le village est à 500 mètres juste après le pont sur la Garonne alors je me dis que je vais marcher un peu pour recommencer à faire du stop à la sortie du village. Une centaine de mètres plus loin un petit camion s’arrête à ma hauteur, par la fenêtre ouverte le conducteur me demande si je vais loin. Je lis la surprise sur son visage, il devait croire que j’étais un garçon avec des cheveux coupés aussi court. * A Foix. * Moi aussi, si vous voulez je vous emmène. * C’est super, merci. On démarre, le véhicule est bruyant. Un coup d’œil en diagonale, il a une quarantaine d’années, un béret, un jean propre, une chemise kaki et des chaussures de marche, détail : il fume des Gauloises * C’est les vacances ? * Oui, j’en profite je vais voir une copine a Foix. * Comment tu t’appelles ? * Caloulou. * C’est un prénom ça ? * Pas vraiment mais en tout cas c’est le mien. * C’est français ? * Non ça vient d’Afrique centrale. * Ça sonne joli Caloulou. Beaucoup mieux qu’Albert en tout cas. * Pourquoi ? Albert c’est un prénom comme un autre, quand la mode reviendra tout le monde voudra s’appeler Albert vous verrez. Caloulou ça veut dire « lapin », Albert ça veut dire quoi ? * Je crois que ça veut dire brillant. Je lui tends la main : * Enchantée Albert. * Salut Caloulou ! Je le regarde de face, mon dieu quelle tête ! Une vraie tronche de boxeur avec un beau sourire chaleureux. * Vous allez jusqu’à Foix ? * Plus loin que Foix, je suis en montagne. * Et vous faites quoi ? * Paysan. * Ah bon, c’est chouette, vous êtes le premier que je rencontre. * C’est parce que vous vivez en ville peut être ? * Oui, je suis de Lyon. * Et vous venez de Lyon en stop ? * Je suis partie ce matin. * Et ben dis donc ça marche bien le stop. Vous avez quel age ? * Oui pour le stop ça va plutôt bien jusqu’à présent. Sinon j'ai 19 ans. * Le bel age ! A mon avis pour le stop ça devrait aller bien au moins jusqu’à Foix. * Vous avez des animaux dans votre ferme ? * Oui, mais pas beaucoup, 4 chèvres, 4 brebis, 2 vaches, 2 cochons, une mule, des poules, des canards, des oies, 4 ruches, un chien et un chat. * Et à part ces animaux ? * Un grand jardin, un peu de blé, du maïs, du tournesol, des navets pour les bestiaux l’hiver, en fait tout ce qu’il faut pour nous nourrir eux et moi toute l’année. * Vous vivez presque en autarcie alors ? * Oui à peu près, je vends 2 veaux, 1 cochon, 2 chevreaux et 2 agneaux chaque année pour payer mes cigarettes, l'essence, les assurances et les impôts fonciers. Passer un mois ou deux dans une ferme en montagne arrangerait bien mes affaires. * Vous n’auriez pas du travail pour moi Albert ? Il me regarde un brin surpris. * Vous savez sur une ferme c’est pas le travail qui manque. Surtout à cette époque de l’année. Le souci c’est que je vis quasiment sans argent alors je me demande bien comment j’arriverai à vous payer ? * Je ne vous demanderai pas d’argent, vous m’apprendrez à m’occuper des animaux et du jardin, je travaillerai et je serai nourrie et logée en échange. Vous ne croyez pas que ce serait bien pour vous et pour moi ? * Oui ça pourrait être bien… * Ça va être bien ! Si votre femme est d’accord bien entendu. * Vous savez Calou…lou, ma femme est bien éduquée, elle toujours d’accord. Je tique un peu sur l’éducation de sa femme, mais bon je ne vais pas faire la difficile alors que je savais même pas ou j’allais dormir ce soir. * Vous savez Albert… Je suis vachement contente à l’idée de travailler dans une ferme, et d’ailleurs elle est ou cette ferme ? * Elle est a Montagagne… c’est entre le col des Marrous et La Bastide de Sérou. Dans les 1000 mètres d’altitude entre forêts de pins, de hêtres et champs de myrtilles. * Il y a des animaux sauvages ? * Oui, des cerfs et biches, des chevreuils, beaucoup d’oiseaux de toutes sortes, des renards, des blaireaux, des sangliers… Toute une faune. * Ouawwwww ! * Vous montez pas le bourrichon, si ça se trouve ça va même pas vous plaire. * C’est vrai, on en reparlera dans quelques jours. Tout au long de la route Albert fait des commentaires sur les champs qui borde la route, « Oh là là il a soif ce maïs ! » « Regardez-moi ce tournesol comme il est beau », « et cette luzerne… c’est les abeilles qui vont être contentes ». Il se lance dans des explications agronomiques, les vertus des légumineuses, des crucifères, des graminées. Je l’écoute attentivement, pose quelques questions et chaque fois Albert se lance dans des explications tellement pointues que je n’y comprends plus rien du tout. On arrive bientôt à Foix et on se lance à l’assaut de la montagne. * « Dans 40 minutes on sera au Pla del Moun » En disant cela il arbore un beau sourire, je le sens heureux de rentrer chez lui. La route serpente tout au long d’une vallée verdoyante et puis tout doucement les près et les champs laissent la place à la forêt, des feuillus tout d’abord puis des résineux. Arrive au col des Marrous Albert tourne à droite et s’engage sur une petite route. « 4 kilomètres, ça sent l’écurie !» dit-il en accélérant vigoureusement. Son bonheur est communicatif et je souris. De chaque cote de la route la forêt et des près par ci par là. On tourne encore une fois à droite, cette fois ci sur un chemin de terre, ça tourne à gauche, ça retourne à droite, ça grimpe un peu plus fort, une épingle a cheveux, une petite maison et une grange avec une cour devant et c’est là qu’on s’arrête. * Voilà, nous sommes au Pla del Moun ! Devant la porte un chien tire sur sa chaîne en poussant un véritable hymne a l’amour. La porte de la maison est ouverte et je me dis que la patronne ne va pas tarder à faire son apparition. Je tourne la tête de l’autre côte et là je dois dire que c’est absolument magnifique, des montagnes, des vallées toute illuminées par la lumière rasante du soir qui tombe. Les oiseaux font un raffut du tonnerre, je me sens bien. Quand je me retourne Albert joue avec le chien qui lui couvre le visage de grands coups de langues en roucoulant. Quand le chien s’intéresse à moi, il s’approche circonspect, commence ce cochon par me renifler entre les cuisses, puis les pieds et il se met à me tourner autour. Un coup d’œil à son maître : * C’est une amie Le chien, tu peux lui faire la fête. Et le clébard se met à me souhaiter la bienvenue en sautant bien plus haut que moi en essayant évidemment de me prodiguer de grands coup de langue. Il se calme, je le caresse, nous sommes amis. * Si vous voulez rentrer Caloulou, posez vos affaires ou vous voulez, il faut que j’aille soigner les bêtes. * Je peux vous accompagner ? * Oui bien sûr. On se dirige vers la grange, il y a une porte en deux parties, celle du bas est fermée. * Alors les filles vous allez bien ? * Ouiiiiiiiiiii répondent en cœur un petit groupe de biques et de brebis. J’entends hennir juste à cote. * Ça c’est la mule qui vient de nous entendre parler et nous envoie son bonjour. Albert vérifie les mangeoires et l’abreuvoir. * Laissez-moi vous toucher les seins pour voir si on peut reporter la traite a demain, bon toi la rouquine je viendrai te tirer ton lait après manger, hein tu est d’accord ? On ressort et on pousse une autre demi porte : * Et toi Joëlle tu est heureuse de me revoir ? Un hennissement joyeux nous répond, nous sommes chez la mule. Grande démonstration amoureuse, des bisous sur le mufle, des caresses sur le poitrail, mes mots chuchotés a l’oreille. On passe ensuite au poulailler, les poules sont toutes endormies sur leurs perchoirs, les canards, les oies sont au sol regroupées par affinités d'espèces me semble t’il. Tout va bien ! Une fois revenu à la maison toujours pas de femme en vue. * Dites donc Albert elle est où votre femme ? * Venez je vais vous présenter. Il sort avec moi sur ses talons, nous traversons la cour. Nous faisons face à la vallée. * La voilà ma femme, c’est cette vallée. Nous nous sommes rencontrés il y a 20 ans et j’en suis tombe amoureux et je l’aime même de plus en plus chaque jour qui passe. Je ne tique même pas, Albert ne m’a pas trompée, ne m’a pas mentie, il m’a seulement dit sa vérité et je la comprends tellement bien. * Je comprends que l’on puisse en tomber amoureux… Une fois rentré dans la maison il fait presque nuit et Albert allume une lampe à pétrole à pression qui éclaire autant qu’une ampoule de 100 watts. * Vous n’avez pas d’électricité ? * Non il n’y a pas de courant, mais vous en faites pas c’est vivable, dans quelques jours vous n’y penserez même plus. * - Et le téléphone ? * Non plus, mais si vous voulez Fernand mon voisin il l’a, donc quand on a besoin de téléphoner on va chez lui, c’est à 20 minutes a pieds, nous irons demain je vous présenterai, c’est un super vieux monsieur, il a perdu sa Mauricette l’an passé et ça lui fait du bien d’avoir de la visite. Je le sens tout ému à me parler de la Mauricette au Fernand. Je m’intéresse à mon nouvel environnement, une pièce à vivre assez grande, des murs en pierres jointoyés, en rentrant sur la gauche un bas flanc, presque au milieu de la pièce un gros poêle Godin, sur la droite une cuisinière, un évier, en face une table, trois chaises, à l’autre bout de la pièce un lit, une armoire, une commode à tiroir et une immense bibliothèque remplie de bouquins. Au mur un calendrier de La Poste, un très beau tableau avec des ours dans la foret et puis c’est tout. Dans un coin une porte : « Si vous voulez aller aux toilettes c’est par là ». J’y cours. * « Je vais faire un air de feu, on est à 1100 et quelques mètres et il fait frais le soir » * Dites donc Albert, il n'y a pas de chasse d'eau dans les toilettes ? * Non, ce sont des toilettes sèches, après avoir pissé ou chié tu prends une poignée de sciure dans le bidon à côté des chiottes et tu recouvres ton œuvre et c'est tout. C'est pour économiser l'eau et aussi pour pouvoir composter tout ça quand la cuve est pleine. * Ah d'accord, je comprends pourquoi ça sent la forêt dans tes toilettes, c'est la sciure. Quelques instants plus tard le Godin ronfle comme un vieux diesel et il fait vite chaud. * Demain je vous montrerai la salle de bain. Bon, au menu ce soir : Salade verte et radis du jardin, omelette aux champignons du Pla Del Moun, cèpes et lactaires délicieux, tarte aux pommes et pain avec de la farine de blé variété « Docteur Mazet ». Le pain est d’hier mais il fait la semaine sans problèmes. Je suis complètement épatée et je le lui dis « C’est la première fois que je vais dîner avec quelqu’un qui aura produit tout ce que je vais manger ». * Et bien ça me fait très plaisir. Vous verrez on n’en meurt pas, bien au contraire. En attendant on va fêter votre arrivée avec un petit verre du pays. On s’assoie à table, Albert apporte deux petits verres et une bouteille étoilée, le liquide est violet, il rempli les verres, m'en tend un : * A nous et à la terre qui nous prodigue tant de bienfait. Je renifle un petit coup, ça sent vraiment très très bon, je bois, une merveille. * Ça a le goût de miel et de fruit, peut être du cassis ou des myrtilles! * C'est bien ça, c'est du melomel fabriqué avec du miel et du jus de Myrtilles, soyez prudente si vous ne tenez pas l'alcool, il fait bien 14° cet élixir. * C'est tellement bon, ça va être dur de se restreindre. * Bon alors ce sera 2 petits verres pour chacun et je cache la bouteille ! * Dites donc Albert, où est ce que je vais dormir ? * Il n'y a pas 36 solutions : je vais tendre une couverture pour isoler le bas flanc du reste de la pièce et y arranger un lit. Si ça vous plaît pas j'irai dormir dans la grange et je vous laisserai mon plumard. C'est à vous de voir ? * Et pourquoi c'est pas moi qui irai dormir dans la grange ? * Hors de question, il y a plein de chauves souris qui chassent la nuit, et puis la nuit la forêt est vivante, des animaux sauvages vont et viennent, Lechien aboie, la mule rêve et hennie, c’est pas de tout repos croyez moi. * Bon est bien alors c'est d'accord on va faire comme vous voulez. * C'est pas tout ça mais je dois encore préparer le repas et préparer votre lit. * Et je vous aide. * D'accord prenez la lampe on va aller ramasser une salade et une botte de radis. On sort et au delà de la grange Albert pousse un portillon. Tout les légumes sont sagement alignés, le sol semble recouvert de paille, ça me fait penser à une corne d'abondance tout ces légumes de toutes sortes. Deux minutes plus tard nous rentrons en vitesse car il fait bougrement frais. Nous nous partageons le boulot, à moi la salade et les radis, à lui l'omelette, les champignons et mon lit. Vingt minutes plus tard nous nous attablons. Visiblement le beurre est aussi fait à la maison. * J'ai pas vu les vaches … ni les cochons ? * Elles sont au pâturage, nous irons les voir demain. - Avec les cochons ? * Bien sur. D'ailleurs demain on les passera peut être dans le verger, il doit y avoir pas mal de pommes au sol, ça les occuperas. Et puis on séparera les veaux des mères pour avoir un peu de lait le soir. * Et après on fera quoi ? * Pour fêter ton arrivée on arrachera quelques pommes de terre nouvelles pour manger avec des ailes d'oies confites. On coupera quelques pieds de maïs pour donner aux vaches, on bêchera un carré de jardin pour y semer des épinards pour cet hiver et des choux aussi. * Alors comme ça vous bossez sans arrêt ? * Ne croyez pas ça, je bosse rarement plus de 4 heures par jour. * Et le reste du temps ? * Je lis, j'écoute la radio, je parle aux animaux, j'observe la vie qui m'entoure. * Vous avez une petite amie ? * J'ai des amis oui mais pas au stade petite amie. Nous rions de bon cœur de sa grimace qui accompagne sa phrase. - Il est 23 h on écoute un peu les infos et au dodo d'accord ? Gros accident dans un meeting aérien en allemagne, on ne parle quasiment que de ça. C'est la fin des infos. * Bonne nuit Caloulou, J'ai mis une bougie et des allumettes sur ta table de nuit. * Merci Albert, bonne nuit à vous aussi. Je passe derrière la couverture suspendue au plafond, je me déshabille et me glisse dans des drap qui sentent bon la lavande. L'oreiller lui crisse et a une odeur inconnue. * Albert, c'est quoi qui est dans l'oreiller ? * C'est du houblon, ça aide à bien dormir. * Super ! * C'est aussi un anaphrodisiaque. * C'est vrai ? * Oui, c'est une mesure de sécurité efficace. Nous éclatons de rire tout les deux.... Je l'entends bougonner « J'ai oublié la rouquine... » Je dors.

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