Il était sorti vers midi, sentant ses jambes lui réclamer leur ration hebdomadaire de bitume. Cétaient les jambes dun homme habitué à parcourir des kilomètres par nimporte quel temps, sur tout type de terrain, dépaisses et longues jambes qui transportaient le reste de son corps presque silencieusement pendant que ses yeux observaient autour de lui. Les corbeilles de fruits impeccables en vitrine de lépicerie du Boulevard Saint Aignan, un endroit où il aimait bien venir faire quelques courses les dimanches après-midi dautomne et dhiver sans savoir pourquoi cétait un magasin quil fréquentait moins le reste de lannée. Un détour pour éviter la Place Mellinet, quil trouvait dun classique triste et ennuyeux. Derrière les murs dun jardin dans une rue dont le nom lui échappait, lil noir de cyclope dun tournesol de plus de deux mètres qui se tenait encore droit mais pencherait bientôt la tête dun air fautif. Puis, tout droit devant lui, les huit-cents mètres du Quai de la Fosse bombardé de soleil. Ou bien cétait peut-être un kilomètre, à moins que ce soit finalement beaucoup moins. Difficile à dire tant cela semblait long et ennuyeux.
Dans une teinturerie où sactivaient deux repasseuses, un ventilateur sur pied qui tournait. Cétaient vraiment de gros fers quelles manipulaient, et les câbles électriques suspendus au plafond dansaient comme des serpents énervés mais on ne pouvait être sûr de rien : il pouvait tout aussi bien sagir dune parade nuptiale. Trois ou quatre bars à hôtesses, des parasols publicitaires sous lesquels des filles laccrocheraient certainement pour boire un verre sans savoir quelles navaient pas la moindre chance avec lui. Il y avait aussi des bars normaux où on ne proposait pas de sexe. Des bars très simples qui donnaient sur la Loire et il nétait écrit nulle part, dans aucun guide ou dépliant touristique, que la Loire à cet endroit ne sentait pas très bon. En contrebas du pont Anne de Bretagne, il savait quon pouvait encore voir les piles du pont transbordeur qui nexistait plus que sur des cartes postales en noir et blanc des pieds de géants sciés au niveau de la cheville.
Est-ce que cétait bien raisonnable de sarrêter boire un vin blanc en route en sachant que de toute façon il poursuivrait ensuite jusquà la Place du Bouffay, où il ne manquerait pas de commander au moins une bière ? Peut-être pas, mais il ny avait pas lieu non plus den faire toute une affaire. Un homme qui vit seul a de temps en temps besoin dentendre parler autour de lui et, dans la mesure du possible, il tenait à choisir son type de conversation, comme on choisit le parfum dune glace.
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