A présent du bruit au-dessous, ça bouge chez les voisins, des meubles que lon tire, des voix, on dirait quils sont nombreux, loreille au plancher jentends que ça grouille.
La vermine.
Les chers copropriétaires du bas accueillis par les chers copropriétaires du haut.
Dur à supporter cette impression dêtre faits comme des rats nest-ce-pas ? Peut-être avez-vous aussi tambouriné à ma porte, au plus fort du fracas nest-ce-pas ? Peut-être même quacculés aux pires extrémités répugnerez-vous à tenter dentrer dans le grand appartement qui sent la charogne nest-ce-pas ?
Porte anti effraction, fenêtres anti effraction, protections maximales, un sas de décontamination entre ma cuisine et le monde, ici on nentre pas, rien ne peut entrer en mon domaine, sinon le calme, la sagesse, la paix intérieure.
Déjà lobscurité, la nuit va passer vite, ne pas en perdre une miette.
Toujours la pluie, des grains dacide, des têtes dépingles de plus en plus fines, et maintenant des grondements sourds, énormes, colossaux.
Là-bas !
Le sol souvre, un sablier qui se vide !
Un autre sablier qui se vide !
Sabliers sur sabliers, de longues ombres dimmeubles vacillent face aux béances soudaines.
Sous la ville un gruyère, le poids, des tonnes et des tonnes cumulées, la chaussée ne supporte pas.
Ça doit leur faire un drôle deffet dans les souterrains !
Encore de linattendu, on va de surprise en surprise, un césar pour la mise en scène bravo lartiste japplaudis des deux mains mais quoi pourquoi me poussez-vous ne me tordez pas les poignets pourquoi tout bascule ne me cognez pas sil vous plaît jai mal mon épaule ma hanche ne me faites pas violence ma tempe pourquoi du sang sur ma tempe on ne bat pas un vieillard aidez-moi sil vous plaît mais que se passe-t-il non personne ce nest rien il ny a personne relevons-nous relève-toi, et surtout calmons-nous calme-toi pourquoi tu taffoles, respire, respire plus lentement, respire de plus en plus lentement voyons, limmeuble a un peu bougé cest tout, ne fais pas attention aux lézardes, prends un calmant prends en un autre, allonge-toi, essaye de sommeiller, tu jouiras de la fin du spectacle un peu plus tard, ne tinquiète pas ; voilà qui est bien, voilà quil fait nuit noire ; laisse-toi bercer par les ronflements du cataclysme, tout est normal ; tu es ton propre centre en conséquence il ne tarrivera rien ; il ne tarrive jamais rien alors dors, dors un peu ; dors encore un peu. Cest bon. Tu dors. Tu es paisible.
Plus aucun bruit.
Tout a cessé ; le monde enfin pur te berce dune lueur morne, dun filtre grisâtre, cest le jour peut-être ? Le chant de nouveaux matins.
Ce sont des glapissements ?
Où donc ? Du dessous.
Frappe-t-on à ma porte ?
Et mes fenêtres ?
On ne distingue plus rien, le vitrage est flou, dépoli.
Debout. Il faut ouvrir, voir lextérieur.
Mon dieu la poussière ! Une aurore de cendres. Qui prend la gorge, la trachée. Les vitres attaquées par lacide. Ça picote, ça pique, fort, brûle, le visage brûle. Jai mal. Il reste de leau dans la cuvette, du jus dans les boîtes. Se frictionner la peau partout. Surtout, surtout, ne plus ouvrir les fenêtres. Ne plus rien ouvrir. Calfeutrer les aérations. Mes vêtements, mes couvertures. Ça glapit dessous. Taisez-vous pendant que je travaille. Des particules de plus en plus fines. Une apocalypse qui a le chic de finir tout en légèreté. Hiroshima au ralenti. Ici je suis bien protégé, tranquille, étanche, joints et blindages, rien ne rentrera.
Frappe-t-on à ma porte ?
Oui ? Une respiration
plutôt un râle... Aigu ? Un enfant.
(...)
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