J'ai huit ans... C'est les vacances et, comme presque chaque année, nous faisons le voyage de la Tunisie à la France en avion. J'ai toujours aimé ça, l'avion. C'est fascinant... Quand, après avoir lentement roulé il s'arrête, se met à vrombir avec une incroyable violence intérieure, puis, c'est l'accélération qui nous colle au siège, et enfin le décollage qui nous arrache du sol... le paysage qui s'éloigne, se penche... Après, les choses se calment. Une heure de voyage... une éternité au-dessus des flots et des nuages, tout près du ciel... Justement... Le ciel... il me fascine dans sa pureté. Je ne saurais dire s'il est transparent ou opaque. Il irradie. En revanche, il me semble terriblement proche. Je m'abîme en son insondable profondeur. J'aimerais bien que l'avion monte encore un peu... qu'on le touche, ce ciel mythique et lointain, qu'il devienne palpable, réel, qu'il nous dévoile ses secrets, sa vie, qu'il...
mesdames et messieurs, nous allons acielir dans quelques instants ; nous vous prions de rejoindre vos places et d'attacher vos ceintures.
attachez vos ceintures les enfants.
oui maman (x 3).
on s'arrête au ciel ???
oui, c'est une escale.
J'exulte... Voilà que j'étais plongé dans les mystères du ciel, à rêver, me demander, espérer l'inespéré, et paf ! voilà qu'on y va... Je croyais qu'on ne pouvait pas. Personne n'en a jamais parlé, ou alors, j'ai pas entendu... Je n'ose poser aucune question. De toutes façons, mon exaltation est à son comble et je préfère garder cette émotion pour moi... Ce ciel, c'est le mien... je l'ai désiré après tout. J'en profiterai à fond et tout seul. J'en ferai mon baptême.
Pendant que je rêvasse, l'avion, lui, a fini par acielir et sans même m'en être rendu compte, je pose mon premier pas sur le ciel. Je regarde alentour... C'est tout bleu, vide. Du vide, avec un avion et des gens au milieu. Je marche, je m'éloigne... je veux explorer ce grand vide, savoir enfin ce qu'il a à me révéler... Mes parents, mon frère, ma soeur, les gens ne sont plus qu'une rumeur lointaine dans mon esprit. Je suis absorbé par le mystère.
J'arrive au bord de l'eau... Je ne l'avais pas vue tant elle se confond avec le ciel lui-même, comme l'horizon quand on est sur terre. J'y entre... Je n'ai pas la sensation de me mouiller ; c'est bizarre... j'avance et... Que vois-je, un peu plus loin, au fond de l'eau... Cette forme jaune... mais : c'est le soleil ! Cette forme, vraisemblablement ronde, troublée par les flots, oui, c'est bien le soleil !! Je suis tout près du soleil !!! Le soleil est dans la mer du ciel !!!! Là, je suis estomaqué. Je reste immobile... J'ai conscience que je vais vivre quelque chose d'exceptionnel... J'hésite : j'y vais ? je continue ? J'aimerais tant le toucher... ... ... Allez. C'est pas tous les jours que j'en aurai l'occasion : j'y vais !
Christian !!!
?
Ne vas pas plus loin... il y a le soleil, tu vas te brûler !
...
Christian ! fais attention au soleil, tu vas te brûler !!
J'hésite ; la voix coléreuse et effrayée de ma mère arrête mes pas, infléchit un court instant ma détermination... Je ne vais quand même pas reculer ! De toutes façons, la mer n'est même pas chaude... à peine tiède, alors, pourquoi moi je me brûlerais ?! Et en plus, si l'eau du ciel ne mouille pas, le feu du ciel ne devrait pas brûler. Mon argumentation me redonne du courage...
Reviens ici, on va bientôt repartir ! ça suffit maintenant !
Je refais un pas en avant... je tremble. Je tremble de ce dilemme intérieur... une peur, une ivresse, insoutenable, délicieuse... J'avance encore. La boule jaune, un instant avant grosse comme un ballon, a doublé de volume. Je suis tout prêt... Je vais le...
Christian... Christian... Christian...
... Hein... quoi ?
Christian, lève-toi... tu vas être en retard pour l'école !
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