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... de ta douceur par L ange bleu

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Chaque jour tu arrives là à 10 heures précise, il est fort probable que tu attendes patiemment en bas l'horaire permis des visites. Tout le service te connait et admire ton dévouement, il faut dire que tu n'oublies jamais d'avoir une attention pour chacun, un mot de gentillesse, quelques fruits de jardin... Tu rentres dans la chambre avec un bouquet de fleurs à la main et ton grand sourire de femme heureuse de me retrouver. Tu t'approches pour me dire bonjour même si tu ne peux que frôler mon front. Et je vois les pétales voler à travers toute la pièce. Avec un ton bienveillant, tu me demandes si j'ai bien dormi. Tu t'excuses de filer aux toilettes pour vider l'eau du vase et jeter les fleurs de la veille. Tu n'attends pas pour entamer tout un échange de questions réponses en monologue. Très vite de retour, tu disposes tes fleurs avec soin dans le vase. Immobilisé et sans voix, je ne peux pas te dire que toutes tes fleurs me donnent la nausée. Tu commentes le bilan quotidien de mon état de santé. Et puis tu entames à voix haute la lecture du journal. J'ai tout autant droit aux problèmes internationaux, économiques, philosophiques que la rubrique des chiens écrasés. Après tu me proposeras de t'aider à faire un mot croisé ou tu me feras part des derniers commérages. Tu t'épanouis pleinement dans cet échange particulier mais tu me regardes peu. Tu prends toute ton aise, t'en jouirais presque de ton rôle de sainte Madone des familles que tu m'imposes. Tu n'irais pas jusqu'à bénir cet accident qui m'a rendu pantin à ta disposition, mais quand même. Tes prières pour que je te revienne ont peut être eu une incidence. Tu m'as à disposition tout entier sans plus de cris et de scènes. Il ne me reste que mon regard noir sur lequel tu évites de t'attarder car il darde sur toi sa colère concentrée. T'es là à me regarder furtivement avec cet air familier d'épagneul breton et je voudrais t'étrangler. Chaque jour ta gentillesse m'oppresse, avec ta sollicitude imposée, ta présence obstrueuse. Ton vase, je voudrais te l'arracher des mains et le faire valser en mille éclat à travers la pièce. Que ton visage se décompose et se transforme en rictus. Tu revis et moi j'en peux plus de devoir te supporter encore. Tu as tout cadenassé, recomposant le tableau familial en gommant la silhouette dérangeante qui te faisait de l'ombre. Même nos enfants ne peuvent me voir seul à seul. Les visites me sont filtrées, tu ne voudrais pas que je me fatigue. Tout juste tolères-tu quelques vieilles douairières tout heureuses de me vanter ta clémence et ton si grand pardon. Ta bonté d'âme me vrille les sens mais tu n'en as cure. Tu as choisi l'amnésie avec dedans la valise aussi que j'avais emporté. Je ne suis jamais arrivé, la voiture a fait un tête à queue, mais le demi tour n'a jamais été prévu. Dès que tu as été prévenue, tu t'es imaginée que c'était une chance pour notre couple. Et tu t'épanouis pleinement dans le rôle de la femme qui se dévoue sans compter pour son tendre époux. C'est chair payée la compassion écrasante avec laquelle tu m'asphyxies. Je voudrais crever pour ne plus voir ta gueule ... Mais tu serais encore là aux premières loges pour pleurer mon départ en femme éplorée, recevant les condoléances. C'est dans la haine que tu m'inspires que je puise la force de me battre pour un jour me relever. Et échapper enfin à la violence de ta douceur. Comme dirait Lola, inspiré très, très librement du début du livre "Apprendre à finir" de Laurent Mauvignier que je recommande. "Mais maintenant qu'il était revenu je me disais qu'il reviendrait de sa colère. Qu'il réapprendrait à me voir, je me disais qu'il s'adoucirait, lentement, doucement, au rythme de ses progrès, je me disais tout ça parce que moi je n'avais plus peur, je ne craignais plus son regard de pierre sur mes yeux baisés et sur la salive que je renvoyais d'un coup au fond de la gorge. Je me disais : nous allons réapprendre. Nous allons refaire les gestes de ceux qui apprennent, de ceux qui commencent. Nous allons faire ça, nous, à rebours, retourner vers le début..."

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