Chère amie,
Je suis toujours autant épuisé.
Le temps ici semble impossible à dompter, jai dû me résoudre à ne plus jamais consulter ma montre. Je flotte entre midis et soirs, heures où lon sert des plats en sauce effroyablement consistants qui éradiquent doffice toute tentation sportive. Mon estomac se révolte même contre la moindre velléité de promenade.
Dailleurs on me considère visiblement comme un infime : tous les repas me sont servis à part, dans le fauteuil à oreilles.
On me déplace parfois de la grande baie vitrée vers la salle de télévision. Cest là où je mendors une fois que les enfants des autres pensionnaires ont cessé de jouer à chat, pendant que les parents finissent leur scrabble devant un verre de génépi.
Il y a eu hier de nouveaux arrivants, peut-être leur a-t-on loué ma chambre ? Je nai pas eu la force de demander, cétait inutile, jaurais eu encore moins celle de protester.
La patronne est une femme des hauteurs, robuste, industrieuse. Elle me couvre un peu trop de prévenances.
Hier encore, alors que tous avaient filé sur les pistes ou les chemins, elle sest permise de me déboutonner, et, après sêtre calée le fondement entre les accoudoirs, elle se mit à secouer son solide embonpoint en susurrant «mon petit zéro, mon petit zéro tout rond ». Je devrais me plaindre au syndicat dinitiative.
Heureusement que, pour affirmer mon autorité, il reste cette seconde carte postale qui se laisse tyranniser par mon stylo bien aimé, sans protester le moins du monde.
Tout à lheure, je tâcherai den récupérer une autre sur le tourniquet à lentrée, pour dire demain encore lexpression de mon existence.
Veuillez, chère amie, toute fictive que vous soyez, croire en la profonde sincérité de mes sentiments.
(toujours pas connexion simple dans cet hôtel infernal, donc pas de SAV)
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