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Un brillant esprit s’éteint par Jules Félix

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Eh oui, la vie passe… Je me souviens de la belle époque. Georges Charpak venait d’être récompensé du Prix Nobel de Physique (il l’a eu en 1992). L’année précédente, c’était Pierre-Gilles de Gennes. Ils n’étaient pas très connus du grand public mais un Prix Nobel, ça aide à accroître sa "visibilité". Les historiens ou les sociologues sont toujours plus connus que les physiciens ou les chimistes. Va savoir pourquoi. Ce devait donc être en 1993. Invité à faire une présentation dans l’une des universités les plus prestigieuses de France en science physique, Grenoble, Charpak forçait sa nature plutôt réservée en allant au-devant d'un public pas forcément de scientifiques (ce qui peut dérouter parfois). Charpak est un peu l’ouvrier de la particule élémentaire. Ou alors, le gendarme. Celui qui a inventé les radars pour flasher les particules élémentaires. Ses détecteurs développés au CERN à Genève lui ont valu la plus haute distinction. Sa chambre proportionnelle multifils a remplacé la chambre à bulles. Une mine pour la recherche sur les particules élémentaires. Et de notables progrès pour la radiographie en réduisant l’exposition du patient aux rayonnements ionisants. Je reviens donc à cette conférence en amphi. L’amphi est évidemment plein. Pierre-Gilles de Gennes avait lui aussi fait salle comble un ou deux mois avant. Beaucoup de Grenoblois, d’étudiants, de curieux venus entendre celui que la science mondiale venait de reconnaître. C’est difficile de dire que c’était un génie. C’est rare, les génies. Tout le monde ne peut pas être Bohr ou Einstein. Passage aux questions du public. Je n’hésite pas alors à m’emparer du micro. Une question qui taraude régulièrement mon esprit. La physique n’apporte-t-elle pas une connaissance matérialiste du monde qui, paradoxalement, incite les physiciens à croire ? Pas forcément à un dieu chrétien, mais à quelque chose de transcendant, qui va au-delà de l’homme ? Je lui faisais part de mon observation que parmi les physiciens, on trouvait pas mal de croyants et parmi les biologistes, qui étudient pourtant la vie, on trouvait pas mal d’athées. Pourquoi une telle différence ? Georges Charpak me regarda alors avec un regard un peu déconcerté. Presque agacé, mais il ne l’était pas, comme si un élève n’avait pas compris sa leçon. J’étais mal tombé. Il m’a répondu qu’il était athée et qu’il ne voyait pas pourquoi la physique ferait plus croire que la biologie. J’étais resté sur ma faim. Sa réponse n’était pas très profonde et il a éludé la question en une rapide pirouette. La philosophie ne semblait pas son job. La question ne semblait pas l’intéresser. Dommage. Pourtant, son parcours était particulier. Né polonais près de Tchernobyl, Charpak émigra en France avec ses parents à l’âge de huit ans après une tentative ratée d’émigration en Palestine. Il évita de justesse la rafle du Vel’ d’Hiv’ et il devint résistant à Montpellier, mais il fut arrêté en novembre 1943 et déporté à Dachau le 11 juin 1944, peu avant ses vingt ans (le camp a été libéré le 29 avril 1945). Il m’a déçu aussi un peu plus tard quand il s’est investi dans la défense du nucléaire. Non que je ne sois pas partisan du nucléaire, mais surtout parce qu’il utilisait parfois des assertions de mauvaise foi qu’il pouvait imposer par argument d’autorité grâce à son Prix Nobel. Georges Charpark me paraît plus représentatif des chercheurs français que Pierre-Gilles de Gennes qui, lui, avait un réel talent de communicateur. Même son visage laisse entrevoir une sorte de vieil ours parfois malicieux du regard mais toujours tourné vers sa passion. Quelques photos de lui : http://www.ganil-spiral2.eu/images-presentation/page-dhistoire/physique/charpak http://mots.extraits.free.fr/georges_charpak1.jpg http://www.ville-gardanne.fr/IMG/jpg/charpak-4.jpg Comme Pierre-Gilles de Gennes, Charpak a profité de son aura médiatique pour inciter les gens à mieux connaître les sciences, notamment en voulant reforger l’enseignement des sciences à l’école primaire dans le cadre du programme "La main à la pâte" qu’il a lancé en 1995 (avec Yves Quéré entre autres). Comme tout bon chercheur, Charpak était un esprit très inventif et créatif. Il avait même trouvé une idée très originale pour retrouver la prononciation des langues mortes. Voir : http://www.pointscommuns.com/lire_commentaire.php?flag=L&id=72959 Il avait aussi coécrit un très bon bouquin sur les sciences qui a suscité quelques mécontents (et même un procès) car il incitait le public à se méfier des profiteurs et des escrocs des sciences : "Devenez sorciers, devenez savants" (éd. Odile Jacob). Le livre : http://ecx.images-amazon.com/images/I/41GCB9N6HBL._SS500_.jpg Esprit brillant, il avait été diplômé des Mines Paris en 1947 et eut pour professeur au Collège de France le célèbre physicien Frédéric Joliot-Curie qui dirigeait le labo où Charpak a fait sa thèse en physique nucléaire. La nouvelle à quatre-vingt-six ans ? Seulement un discret faire-part de la famille dans le carnet du "Figaro" de ce matin. Oui, c’était un homme réservé.

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