Pas pu résister à l'envie de partager ce papier de Jacky Durand, paru en ligne sur le Libé de ce jour.
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Agneau pascal
par colis postal
M. Prost attache son vélo avec une grosse chaîne sur la place de lhôtel de ville quil traverse tête baissée en retirant ses gants, avant de découvrir la vitrine entièrement recouverte de blanc dEspagne. Sur la porte, il y a une affichette découpée dans un carton pour gâteaux où une main appliquée a écrit au feutre : «Après quarante ans de bonheur à vous servir, nous sommes désormais en retraite et nous sommes désolés quaucun successeur ne poursuive notre activité.» M. Prost contemple laffichette les bras ballants, il est comme sonné. Allez acheter son uf de Pâques ailleurs, il ne limagine même pas une seconde tant son rite reposait sur sa fidélité à la maison Gâchot. Désemparé, il sen va sattabler au café de la Mairie. Commande un ballon de sauvignon. Puis un autre. Le vin lui plante des crocs dans le ventre. Il se laisse tenter par un plat du jour : une tranche de gigot dagneau avec une copieuse assiette de flageolets égayée dune tombée de persil plat. Et cest là quun peu grisé par le vin, lidée lui vient : expédier un gigot au fiston, on va voir ce que lon va voir.
A la boucherie des Arcades, M. Prost choisit le plus beau des spécimens et remonte sur son vélo avec un sourire canaille en imaginant la tête de la bru découvrant le beau morceau de barbaque au milieu du colis. Cest quil a son idée, M. Prost. Dabord, il va rentrer avec son gigot de Pâques sur le porte-bagages. Il va lui raccourcir los pour le loger dans une jolie caisse quil fabrique avec des planches de peuplier. Puis, pour quil emporte lair du pays, il masse le gigot avec une giclée de vieux marc et sen va emprunter au gros Gérard un peu de son foin qui sent encore le serpolet et les autres fleurs de lété et dont il garnit copieusement la caisse. Il ajoute quelques têtes dail dArleux, un peu de thym et de romarin séchés de son jardin et y dépose délicatement le gigot. Et sen retourne fissa à la poste affranchir son butin au prix fort afin quil arrive à temps dans lassiette.
Au soir du dimanche de Pâques, M. Prost sen revient de la pêche, où il a taquiné la fario quand il trouve ce message téléphonique qui, pour une fois, lui arrache un petit sourire : «Jamais une poignée de foin ne ma fait aussi plaisir.»
http://www.liberation.fr/vous/2013/03/28/agneau-pascal-par-colis-postal_892069
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