Le voyageur était assis sur un banc du quai désert, une valise posée à côté de lui. Une jolie valise de cuir marron avec, collée sur la tranche, une étiquette verte sur laquelle était inscrit "Festival de Bayreuth". Il n'avait jamais mis les pieds à Bayreuth, d'ailleurs il n'aimait pas l'opéra, ou à la rigueur quelques airs du belcanto. La valise était d'occasion, achetée au "Marché aux Puces".
Il attendait A.... Depuis des mois A. lui donnait rendez-vous dans des lieux improbables par un coup de fil ou un sms laconique. A. programmait tout. Les balades, le restaurant, les lieux de leurs étreintes. Parfois, sans une explication, elle ne venait pas. Il commençait à être fatigué de ce jeu dont il ne maîtrisait pas les règles.
La gare était à ciel ouvert et on apercevait des pavillons construits tout le long de la ligne de chemin de fer. D'une fenêtre pendaient des draps sur lesquels était posé un traversin comme un guignol mort sur son castelet. Il imaginait des femmes prématurément fanées par les tâches ménagères, des vies ternes de couples, scandées par le passage régulier des trains comme des appels incessants au voyage, à la fuite, à la désertion.
- Vous attendez quelqu'un?
C'était le chef de gare. un type long et maigre sous sa casquette blanche.
-Oui.
- Un rendez-vous d'affaires? ou une femme peut-être? Ah! les femmes...
Venez je vous offre un café, il n' y a pas de train avant midi.
Le chef de gare se prénommait Yvon. Il vivait là depuis dix ans. Sa femme l'avait quitté quelques mois plus tôt pour rejoindre un musicien en tournée dans le sud de la France.
Comme dans la chanson: "il est cocu le chef de gare..." disait-il en plaisantant mi-figue mi-raisin. Au début il avait tenté de la persuader de revenir. Il l'avait attendue, mais en vain. Maintenant il n'attendait plus rien ni personne. Parfois lui aussi avait envie de prendre le train comme les autres voyageurs mais pour le bout du monde et pour ne plus revenir.
Du café il passèrent aux apéritifs et après le train de midi ils déjeunèrent d'un sandwitch qu'ils firent glisser avec du cognac.
Jeune, Yvon voulait devenir marin car il était Breton. Et puis il avait rencontré Solène qui travaillait à la SNCF. Non il n'avait pas eu d'enfant... pour finir Yvon avoua qu'il était stérile. Heureusement depuis toujours il avait une passion pour le modèlisme. Il construisait jour après jour avec un soin maniaque des reproductions de "brigantins" toutes voiles dehors et devenait alors un Surcouf sillonnant tous les océans et les mers du monde.
Comme le jour baissait le voyageur reprit sa valise et monta dans le premier train qui le rapprocherait de la capitale. Sur le quai Yvon donna le signal du départ en lançant deux longs coups de sifflet comme un arbitre à la fin d'un match.
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