On sétait connus par lentremise, si jose dire, dun club internet qui se voulait culturel. Cétait un lieu déchanges où sépanchaient les frustrations daspirants bobos qui simprovisaient qui critique de cinéma qui critique littéraire. En arrière fond dominait la recherche de mâles et de femelles en mal damour tant physique que sentimental. Lâge moyen des egos qui sépanchaient tournait autour de 45 ans. Le gros escadron était composé de divorcés, le plus souvent des profs qui, comme moi prof et divorcée, se laissaient prendre à la mode forcenée de communiquer sur internet.
Javais été attirée par Magnana qui avait publié quelques poèmes érotiques, suscitant scandale et réprobation de la part des féministes pures et dures. Dans les jours suivants, suite aux condamnations des unes et des autres, à savoir les divorcées, les mal-baisées, les féministes intégristes, il nous avait livré une excellente dissertation sur la philosophie libertine du XVIII siècle. Cette publication, qui, je le reconnais, avait quelques mérites, suscita encore plus les réactions des féministes qui virent là une pose de macho travesti sous des habits philosophiques. Voilà laccusation quon lui balança à la figure sans hésiter. Par la suite nous pûmes lire, sous la plume de Magnana, un long pensum sur les masques ( mettre ici le récit) où il mélangeait la naissance des dieux et des mythes, dans une belle envolée surréaliste. Peu nombreux furent ceux qui comprirent le lien entre les masques, les dieux et les mythes.
Après cette belle envolée Magnana ne publia plus, se limitant à répondre de temps en temps aux com. des uns et des autres. Il se spécialisa très vite dans le commentaire des dissertations dune jeune femme dépressive, peut être schizophrène. Cette femme possédait, sans aucun doute, des qualités littéraires mais sa maladie transformait ses écrits en bouillie surréalistes, en flots de logorrhée qui massacrait allégrement grammaire et syntaxe. En voici un exemple :
« Ma sur était avec un gars depuis quelque temps lorsque sa belle-mère lui mit la pression. Elle alla chez le curé avec son compagnon discuter de la question du cérémonial. Chichis, bataclan, ma mère voulait coudre la robe de mariée à la main mais elle en acheta une plutôt marrante en classique, vous voyez le style (franchement non, mais passons). Moi cétait ma sur alors forcement ce nest pas tous les jours quon se marie. Bon ils décidèrent de se marier en montagne, lEverest enfin presque. Bon deux jours avant je décide de préparer des salades traiteur (recettes trouvées chez Elle) pour les 140 invités, bon chez nous cest vrai, enfin on est très banquet, pas restaurant mais banquet, le même que chez Platon ! Avec service champagne, cocktails etc., quiches lorraines etc. On fait les bouffons on claksonne. On va à la chapelle de lEverest, 36 virages en épingle sur une route poussiéreuse pour 30 2cv, (ah au fait, trente cousins de Slovaquie sont venus) pépé mémé etc. ; ma sur a décidé de shabiller en noir, jai deux surs, donc une en blanc lautre en noir et moi en bleu marine avec un chignon banane. Bon pendant la messe je récite ce fameux poème de Verlaine (première fois que je professe une messe en bleue marine et chignon banane) que jai oublié, voilà on prend des photos. 30 virages en épingle en descendant pour 30 2cv
Salade traiteur trou normand bourgeois et tutti quanti. Ma sur restera mariée six mois, quand elle décide de divorcer, elle navait pas envie de se marier en fait cétait sa future belle-mère qui lui foutait la pression. Six mois de procédure, 10000 francs davocat et le tout fut joué. A suivre les feux de lamour vendredi prochain. » Suit lintervention de Magnana.
« Quand on décide de se marier en montagne, Everest ou Mont Blanc ou mont Pelloux vive lépoux, on doit sattendre à subir la pression atmosphérique en plus de celle de la belle-mère. Mais si on tombe de la montagne Pelloux, adieu lépoux, sur la belle-mère on risque de lécraser pour de bon, une fois la belle-mère écrasée on se fera écraser par les frais de lavocat, quon aurait mieux fait de manger (lavocat) à la place de la quiche lorraine dans un banquet républicain plutôt que dans celui de Platon. » Puis il ajouta un post scriptum « Si à trois surs vous vous étiez habillées une en rouge, la mariée en blanc, lautre en bleu, avec les trois couleurs du drapeaux national vous auriez pu éviter le divorce »
Magnana, prenant le contre pieds de ces chroniques, en ajoutait dans le délire, si bien quil devenait difficile de le suivre. Il avait choisi comme pseudo le nom grec de Kalos. Jallais sur mes cinquante sept ans, mais Kalos- Magnana eut le culot de me dire en plaisantant « Vous allez vers une jeunesse éternelle, et jaimerais savoir à quelle source de jouvence vous avez bu ».
↧