Un commentaire sur « La France Orange Mécanique », « Le Prénom » à la con sur Canal, deux yaourts nature et un amoncellement de cacao volatile sur la table basse du salon, quatre kilogrammes de chatte amoureuse arrimée aux cuisses, deux cents grammes de chocolat noir à cuire issus du poème nocturne nommé « la tarte aux poires, chocolat et noix », trois kiwis vert acide écrabouillés sur la table de cuisine, pêle-mêle jonchant le parquet autour du lit et de la lampe « Mes apprentissages », « Le pur et l'impur » de Colette, « La Mafia à Hollywood » un cendrier, trois briquets et me voilà tendue comme un arc, soupirant, me relevant et me recouchant.
Le sommeil est habituellement une bête voluptueuse et sensuelle que j'apprivoise à plat ventre, chair nue sur la plage douce du queen size.
La chatte s'endort sur un oreiller placé à l'angle gauche du lit tandis que je dispose de toute liberté de mouvement et d'occupation de mon côté près de la fenêtre qui m'informe des fenêtres éclairées des maisons adjacentes, du réverbère nimbé de pluie dorée, du jardin et de ses arbres frissonnants d'aise.
Mais cette nuit le diable entre dans la danse.
Les heurs et malheurs de Willy Colette m'excèdent, les tours et détours amoureux, les plaintes, récriminations, exigences, rancunes, tromperies, trahisons, tout ce cortège de dépendance affective et de veule émancipation féminine, d'omnipotence maritale mécurent.
L'intégralité de mon vingt-et-unième siècle s'insurge tout en reconnaissant partiellement la vérité d'une douleur ancienne mais que je ne veux plus mienne.
Je tente d'allonger mes jambes. Peine perdue : la chatte les investit, reconquiert cette place forte avec ruse et patience.
Je m'extirpe du lit, ouvre la fenêtre aux murmures du vent, à la fraîcheur de la pluie, à la douceur réglisse de la nuit, je m'enfuis de la chambre afin de libérer les autres fenêtres.
La bibliothèque me trouve nue comme un ver à la recherche d'un album La Pléiade qui se dérobe à ma vue.
L'appartement entier me nargue drapé dans son obscurité méprisante.
Dans le salon, le paquet de Lucky Strike vert se gondole, à peine caché entre les branches du chandelier, la commode et sa fidèle lampe boule de sel orangé feignent, superbes, de m'ignorer mais s'égaient de mon désarroi échevelé et dénudé.
Offensée, j'oblique par la salle de bains, décroche la chemise de nuit de fin coton immaculé et me revêts de l'étoffe écrue sous laquelle arrogantes dardent les pointes de mes seins agacés.
La cuisine m'accueille silencieuse et m'offre quelques kiwis rabougris que je coupe en deux à même la table tout en ouvrant au hasard le classeur plastifié nommé « Carnet de recettes Vahiné ». Je creuse rageusement de la cuillère la chair verte et fraîche, en étale sur mes doigts, sur la table, mais me délecte rêveusement de la poésie gourmande de la tarte aux poires, chocolat noir, poudre d'amande, noix et tombée de rhum.
Une gorgée, deux cuillerées puis un verre entier de ratafia catalan me renvoient au lit gaillardement ailée et zélée.
Munie des Lucky Strike, je trouve mon chemin, grimpe sur ma litière, afin de ne pas glisser sur le cendrier plein, les livres éparpillés.
A plat ventre je feuillette les photographies de l'album de Colette.
Photos de famille, toutes minuscules où je distingue mal les personnages.
Je me relève donc pour m'approcher de la lumière et n'y vois pas davantage.
Retour dans le bureau-bibliothèque-salle à manger pour ramener la loupe, passage dans le couloir dans le noir et là, précisément sur le marbre glacé, glissade sur un kiwi mûr nouvellement échappé.
Vlan ! Bing ! Poum ! Aïe ! Je m'étale.
Maudite soit toute la Nouvelle Zélande et leurs maudits rognons gris et velus comme des testicules de morts-vivants !
Fuck le kiwi ! Je me promets de me coucher et de dormir à poings fermés, d'une traite et tout de suite !
Je réintègre le plumard, la couette, en descends aussitôt pour fermer la fenêtre, ranger les livres, le cendrier, les Lucky, les briquets, la loupe et tout mettre en hauteur hors de portée d'une chute, d'une maladresse qui pourrait foutre le feu à la chambre, m'énucléer, me rompre le cou, m'émietter là sur le parquet au milieu d'une insurrection de kiwis enragés.
Hop au lit ! Courage ! Il n'est que cinq heures de samedi après tout.
Je m'allonge bien au frais et presque tranquille, j'ai oublié d'éteindre la radio.
Zut ! Zutas et zutatendis !
Ayè ! Prête !
Je retrouve l'horizontale parfaite, jambes et bras étendus et men sommeille enfin.
Une petite masse chaude s'avance discrète et choit avec grâce et précision sur mes membres qu'elle immobilise de toute sa force d'inertie. Quelle persévérance !
Mentalement, j'ai déjà jeté par la fenêtre les quatre kilogrammes d'amour animal, emprisonné le Titou dans un drap noué, pattes scotchées, ligaturées, et placé le tout dans le bac à fruits et légumes du réfrigérateur à côté des kiwis encore vivants.
Mais finalement je m'endors en travers du lit en souriant.
La nuit, certaine nuit, tout nuit et tout conspire à me nuire...
V.V
↧