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Absence... par Annainessa

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Il est mort. J'ai pris l'appel un peu au hasard, tandis qu'on essayait de faire un soin à une patiente qui hurlait à en faire trembler les murs. Je suis sortie de la chambre. "Quoi il est mort !" me suis je exclamée stupéfaite. "Oui, il s'est jeté sous une rame de métro hier après midi". Le choc, puis le silence, je donne les informations nécessaires puis je raccroche. Je ne verrai donc plus, plus jamais en fait, ça y est, sorti du décor définitivement. Tous ces moments partagés dans un quotidien à la fois incertain et si prévisible aussi ne seront plus, ses trop rares sourires qui illuminaient alors son visage, sa démarche un peu nonchalante, ses silences éloquents et toutes ces heures passées allongé sur son lit à délirer sans doute. Les gens qui délirent ont une drôle de nuance dans les yeux, comme un pastel d'obscurité d'où pointe une lumière aveuglante, un noir d'encre qui se répand dans l'iris et le submerge, comme une eau débordant sans cesse de son contenant. On s'habitue à ne plus les voir mais pas à ce qu'ils ne soient plus là, nos destins confondus ayant tissés au fil des ans quelque chose d'imprécis mais de tellement solide. Hiver, automne, printemps, été, nos vies se mélangent, ils voient nos joies, nos peines, nos moments de doute ou d'agacement, les matins frileux où l'on peine à ouvrir les yeux sous la lumière crue des néons, les gros pulls d'hiver ou les jolies robes d'été, les mariages ou les divorces, les jolies photos des naissances épinglées sur un tableau ou nos instantanés de vacances figés sur les cartes postales, nos rides de fatigue ou nos éclats de rire dans l'instant, peut-être nous connaissent-ils mieux que nous même nous observant jour après jour. De l'autre côté de leur réalité, nous écrivons dans leurs dossiers le parcours de leurs journées, ont-ils bien mangés, dormis, rêvés, qu'ont-ils dit aux médecins de leurs folies, cette vielle compagne qui les suit pour certains depuis fort longtemps, l'expression de leurs visages a t-elle changé un instant ou s'est-elle figé dans un moment unique qui ne se tournera plus vers l'avenir. On finit par ne plus se rappeler à quoi ils ressemblaient lorsqu'on les a connu, des années auparavant, seul le présent reste inscrit dans ce qu'on en dit, pourtant ils ont étés, comme nous, des enfants, des adolescents, des adultes, des parents et nous sommes souvent souvent les derniers dépositaires de ce passé, quand le vide s'est fait autour d'eux. Je sais que j'aurai du mal à m'habituer à ne plus voir sa silhouette discrète dans les couloirs, alors que ça m'affecte moins de savoir que je ne verrai plus jamais ma mère ni ma grand mère, elle mourra sans moi parce qu'elle l'a décidé ainsi et que je n'y peut rien, on ne peut imposer à quelqu'un de vous garder dans son présent, pourtant nous sommes du même sang mais cela en soi ne veut pas dire grand chose. Toutes ces années d'absence et j'en rêve encore, trop souvent je trouve, le silence est remplacé par des flots de paroles où tout se dit, l'absence est compensée par un passé commun comme si on ne s'étaient jamais quittées, les douleurs s'apaisent dans l'affection qui tisse un lien entre ces coeurs défaits, une autre vie, la mienne quelque part, celle que j'aurai dû avoir avec elles si... Mais je me réveille toujours seule dans cette vie et tous ces moments partagés avec ce qui ne sera jamais pèsent souvent sur ma journée, remettre les choses dans le bon ordre, laisser s'enfuir ces rêves chargés de mes espoirs les plus vains. Quel monde est celui de notre réalité, à l'envers d'un endroit se cachent d'autres plages à parcourir où tout peut se dire. Je ne l'oublierai pas lui, parce que l'aimais bien et que nos vies se sont croisées bien souvent, c'est peut-être ça la vraie vie...

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