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Les longs couloirs... par Annainessa

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J'ai souvent regardé cette photo en noir et blanc, deux enfants qui se baignent dans la mer, mes grands parents, avant. A quoi peut-on bien penser lorsque l'objectif nous saisit dans nos moments de vie, deux enfants, qui deviendront deux adultes et qui passeront une grande partie de leurs vies à se déchirer. Je ne sais pas grand chose de leur histoire, le silence faisant foi de toute traces qui auraient pu nous être transmises. Une chute pour lui enfant dans un escalier, le refus de ses parents de le faire soigner correctement, des années passées allongé sur une planche en bois et au final, une jambe raide et une grosse bosse dans le dos. Difficile d'imaginer quelle la vie peut alors se dérouler là, tant la claire lumière d'autres horizons ne doit pas beaucoup briller dans les longues heures que l'on passe avec soi. Que faire de cette solitude...Esprit qui s'aiguise, patience qui s'amenuise, connaissances qui s'engrangent. Il faudra vaincre le monde pour s'en protéger et rester en arrière de ce que l'on ne sera jamais en pulvérisant tout le reste, se moquer et sabrer tout ce qui naît. Qu'aurait-il pu faire, marié à cette jeune femme incroyablement belle et talentueuse, trois filles par exemple, trois vies à piétiner et à écraser jusqu'à ce que leurs ailes se brisent définitivement dans un fracas de cris ou de silences. Un long couloir de vie où s'ouvrent des portes sur des rêves abandonnés, des mariages ratés,des fuites dans l'oubli,de longues nuits de solitude, des enfants non désirés, des regrets à la pelle et des chagrins qui perdurent au matin. Je songe à tout cela en longeant ce long couloir à l'hôpital bordé de portes numérotées d'une sale couleur, derrière chacune s'entasse une vie ramassée sur elle même et quelques effets, dans des murs qui s'écaillent et des fenêtres usées. Ca et là sont posés une fleur séchée, un chapelet offert par l'aumônerie, des livres empruntés à la bibliothèque, un catalogue de vêtement, le journal du jour, une photo de famille d'il y a longtemps où tout semble encore calme, un paquet de gâteaux, un bracelet kitsch, un parfum bon marché. Le lit est défait le plus souvent, les draps froissés témoignent d'une présence à un moment donné, les vêtements s'empilent sur une chaise, les chaussures traînent par terre, et le patient est là, souvent couché, membres immobiles dans ce désordre environnant, à quoi pense t-il durant toutes ces heures où presque rien ne se passe,certains vivent ici depuis des années, pourtant il est interdit d'y afficher une quelquonque intimité, une règle absurde dans un monde qui l'est parfois tout autant. Alors je laisse parler ma chef qui voudrait que l'on rase tout cela, que rien ne dépasse, comme un lit bien fait au carré, ne pas oublier qu'on est malade et qu'on est à l'hôpital même si ce sera l'ultime demeure, mais les fous sont comme une éternelle marée qui rapporte à chaque fois des trésors glanés de ci de là, on range et on jette, ils dérangent et rachètent ce qu'on a enlevé, une guerre à laquelle je ne prends plus part, ça m'amuse ces chambres personnifiés, une lampe à l'ancienne avec ses petites franges sur la table de nuit, des dessins au mur, des guirlandes de fleurs en plastique qui dégringolent des armoires, une rose dans un verre, un bouddha qui sourit, une couette colorée qui défie les ternes couvertures, les cahiers où l'on écrit et ce gros sac de pelotes de laine pour le tricot en hiver, une petite radio diffuse de la musique classique, je rentre, elle me regarde, je suis dans son monde, elle ne connaîtra jamais le mien. J'ai rendu la photo un jour à ma grand mère, dans un accès de colère, après qu'elle nous eut convoqué avec mon frère, s'en prenant à lui pour d'obscures raisons et cherchant dans mon regard une alliance à laquelle je n'ai pu souscrire, "dégagez de chez moi !" a t-elle dit, alors le lien s'est brisé net, d'un coup sec, je l'ai senti en moi, comme une branche qui craque d'un seul coup, je ne m'y attendais pas pourtant c'est arrivé. Tous nos souvenirs se sont envolés d'un coup, la chambre s'est vidée et la tempête a fait voler les vitres en éclat, tout s'est retrouvé éparpillé par terre, le sol était jonché de petits bouts de moi, mes rares moments de vie de petite fille je les lui devais, ma frêle armature s'étant nourrie de sa force à elle, rattraper le désastre qu'on a causé en aimant inconditionnellement celle qui était condamnée d'avance, une fée miséricordieuse qui s'était penchée très tôt sur mon berceau. Je marche dans la chambre, la baguette gît par terre, le vent s'est calmé, mes pas résonnent dans le vide...Les couloirs sont longs...

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