De temps en temps, je range un peu le bureau de mon grand-père. Comme il perd la tête, je fouille parfois dans sa commode de chambre pour y glaner quelque objet qui lui ferait remonter judicieusement le souvenir, lui donnant ainsi le plaisir de me conter quelque bout de vie. En même temps je fais une bonne action.
Cest ainsi que cet après-midi comme il était au jardin, jai ouvert le tiroir du bas de la commode, et là, je suis tombée sur une valisette noire joliment cerclée de baguettes de bois clair, jolie à souhait ! Je lai ouverte sans hésiter et sans difficulté (elle aurait pu être fermée à clé, mais non). Elle contenait un flacon bizarre avec dedans un produit liquide un peu rose, un petit sachet de plastique transparent semblant contenir du plâtre, une pince à épiler, des aiguilles dentomologie, une plaque de polystyrène de dimension moyenne, de la naphtaline et une petite boite en bois verni, fermée par une agrafe dorée.
Bigre, me dis-je. Mais quest-ce et à quoi tout cela à pépère servit-il ? Je navais pas seulement terminé de sentir mon cerveau droit passer linfo à mon cerveau gauche de manière à la traiter au plus efficace, que les deux hémisphère grâce à mes fenêtres oculaires, tombèrent en même temps sur la couverture dun grimoire très âgé. Je dis cela car ladite couverture était traversée de ridules et de soulèvements de peau cartonnée et poussiéreuse par endroits. On y lisait tout de même : « le manuel du parfait lépidoptèrophile ».
Comment vous expliquer. Jadore les papillons. Jaimerais savoir les attirer, les charmer, les capturer, les garder, les regarder, me rassasier de leurs couleurs et tout cela sans filet.
Je me suis dit en pensant à pépère, « les chats ne font pas des chiens tout de même ! ».
Et je lus tout de suite par quel moyen délicat je pourrais attraper les papillons que je désirais. De bons conseils étaient prodigués aux lépidoptéristes. En fait on dit lépidoptéronécrophiles mais je naime pas ce dernier mot à cause de « nécrophile», cela me fait un effet bizarre. En plus jaime mieux profiter des papillons quand ils sont bien vivants.
Le livre disait donc que la solution, cétait de planter dans son jardin un arbre aux papillons, le Buddleia Davidii. Ce nom veut dire « qui attire les papillons ». Larbre viendrait de Chine ou du Japon et il est décrit comme très décoratif, produisant de magnifiques petites fleurs parfumées.
A moi le gai papillonnage me dis-je !
Et commença alors un sacré rêve
. Papillons de jour, papillons de nuit me voici ! Sous le Buddleia je suis étendue, à même la pelouse, pâquerette parmi les coquelicots. Venez, voyez ! je vous ai préparé un nectar à base de miel, de vin pourpre et de rosée. Jai tendu un drap blanc à peine éclairé par la lune cette nuit, afin que près de moi et près de ma miellée, vous veniez vous poser.
Je vous attends mes bien-aimés ! Vous les charmants, notre lit serait un lit de verdure, je serais le narcisse de Saron, le lis des vallées. Vous me soutiendriez avec des gâteaux de raisin, me fortifiriez avec des pommes car je serais en train de tomber malade, damour !
Les Morpho Cypris de Colombie ! je les adore, connaissez-vous les femelles aussi ? Elles sont plus grandes que les mâles et sont dune jolie couleur dorée alors que le mâle reste dans un ton bleu pâle, un peu falot.
Et puis, je le vis passer, lui ! je le vis, que dis-je
Il vint me butiner
jai nommé le Papilio Machaon ! Oui le vrai, lapollon venu dAfrique du Nord et pas moins. Car les pays du sud je les préfère à toutes les Amériques (même du sud).
Et son surnom ! « Grand porte-queue ».
Il ne men fallait pas moins
Jaune et or quil est (et moi son orchidée). De grandes rayures noires aussi qui surgissent parfois lors de rapprochements affectivement authentiques et intenses, mais inattendus, comme pour rappeler quil y a en toute spontanéité une frontière à respecter. Fragilité d'une ombre nichée sous d'apparentes énergies colorées.
Ses grandes ailes, on les imagine fragiles, nen croyez rien, lentre deux ailes est ferme et recouvert dun duvet moelleux, transportant !
Quelle envolée mes amis à laquelle je fus conviée. Jen déployai de petites taches bleues qui mavaient gagné le dessous des yeux, harmonie certaine avec ses ocelles anaux bleus vif surlignés de rouge
Je n'évoque pas ici sa trompe. Pour ne pas laisser échapper l'image esthétique que je garde en moi à des fins picturales.
Vous savez comme moi que le papillon est une créature fugace et éphémère. Je ne sais plus, mon apollon. Ce que tu es devenu
Butines-tu ailleurs, ne me dites pas quil na pas survécu à ma torride nuptiale invitation
Reviens grand porte queue, je serai encore ton ombellifère.
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