Quantcast
Channel: Les commentaires de Pointscommuns.com
Viewing all articles
Browse latest Browse all 5180

Je te veux sans visage par Douve

$
0
0
Je te veux sans visage. Sans nom. Et sans âme aussi, si ça ne t’ennuie pas trop. Je ne veux pas d’amour, pas de sentiments, je ne veux rien savoir de toi. Je me fous de savoir si tu aimes la mer du Nord et ses embruns, si tu es du genre Kleenex ou mouchoir en tissu, bière ou vin. Ne me donne pas le nom de ta chanson préférée, ni celui de ton premier chien ; ne me raconte pas le souvenir d’enfance qui te met, vingt ans plus tard, encore les larmes aux yeux. Je ne veux rien savoir, tu n’existes pas, sauf dans cette chambre, dans ce lit aux draps un peu trop rêches où tu me broies les os. C’est tout ce qui compte. Ces moments là. Dans la lumière crue du petit matin, dans la lumière douce de fin d’après-midi, dans la lumière sale des réverbères, la nuit. Si tu veux bien, j’aimerais aussi ne pas trop entendre ta voix, ne pas m’habituer à ses inflexions, à l’âpreté de tes consonnes. Cette chambre donc, c’est notre lien, elle est presque vide, une panière à linge sur le point d’exploser, un tapis coloré, et une étagère où vivotent quelques bouquins jaunis. J’aime les livres mais je ne veux pas me pencher sur les tiens, ils me souffleraient qui tu es, ou du moins quelques indices. Je ne peux pas me le permettre. Et puis il y a le lit, ton lit, des oreillers, pas assez, une vieille couette défraîchie mais qui sent fort la lessive, un pull en boule au bout, il dégage un parfum, je le pousse du pied, je ne veux pas le reconnaître. Tu dois rester sans odeur. Sans visage. Sans nom. Une fois, une seule, j’ai failli. Ta petite cicatrice au coude a éveillé ma curiosité, je l’ai caressée, machinalement « c’est ma sœur… » tu as commencé enjoué, plein d’espoir. Je l’ai tué dans l’œuf, j’ai fermé ta bouche avec la mienne, je ne veux rien de toi. Rien d’intime, de personnel, c’est dans le contrat, rappelle-toi. Je n’ai pas toujours été cette fille là tu sais. J’ai été une fille bête et amoureuse un jour. J’aimais renifler l’odeur de son cou juste là, tu sais, où bat cette veine. J’ai compté ses grains de beauté, retenu toutes ses cicatrices et leur histoire, je connais par coeur le dessin de son oreille, parfois je le retrace du bout du doigt sur le drap, pour voir si ça fait toujours mal. Au travail il m'arrivait de prononcer son nom à voix basse, juste pour ressentir cette vague, là, un peu douloureuse au bas du ventre. Quand il n’était pas là, j’enfilais un de ses tee-shirts, son odeur si familière de sous-bois et de terre fraîche me suffisait pour m’endormir. J’ai caressé ses ongles lisses comme des amandes émondées, il me suffit de fermer un peu les yeux pour retrouver la sensation. J’ai parcouru son visage de mes doigts, j’en connais chaque aspérité, virage ou accident. On a baisé partout autour du globe, et de toutes les façons possibles, et quand il s’endormait en entortillant mes cheveux autour de ses doigts ça faisait naître un nouveau feu dans mon ventre, un nouveau système solaire. Et puis un matin je me suis levée, il avait disparu, ses fringues, son mug, sa théière japonaise rouge vif, tout s’était évaporé. Y’a pas eu d’explications, de deuxième chance, de drames, de cri, il a juste disparu en silence. Sur la table de la cuisine un petit mot qui disait : c’est fini. Je suis le genre qu’on quitte avec un mot lapidaire coincé sous un sachet de croissants de la veille, crois-moi, ça te change une femme. Une terre brûlée voilà ce que je suis. Dans ma tête c’est le black-out, le vide, mais le corps lui vibre encore, il s’en fout, lui, de l’amour il veut être embrasé, fouillé, exploré, il veut jouir, connaître encore le tremblement de la chair. C’est pour ça que je suis là, tu comprends, tu n’as pas besoin d’être gentil ou de me vendre un avenir. J’en ai fini avec ces conneries. ... Il s’est levé vers 3h, les putes dans la rue riaient aux éclats, il s’est tourné vers elle, inquiet qu’elle ait été réveillée. Mais elle dormait à poings fermés. Il a pris une douche rapide, est allé dans la cuisine. Quelle chance de l’avoir trouvé, cet oisillon blessé, elle a été parfaite. Il a pris du bon temps mais maintenant il n’a plus envie de jouer, elle l’énerve avec ses manières. Elle l’emmerde avec son mystère, Pauline Le Dantec née à Brest le 17 septembre 1987. Oui, il sait tout d’elle, ou tout ce qu’il avait envie de savoir. Un petit passage par son sac tandis qu’elle se douchait, et le tour est joué, qu’est-ce qu’elle croyait? Elle et son foutu contrat. Il n’a rien signé. Et quand bien même, il a toujours joué selon une seule règle, la sienne. Il est revenu dans la chambre. Pendant plusieurs minutes il a fixé la forme endormie dans le lit, puis il l’a ramenée doucement vers lui, par les pieds, Pauline n’a pas protesté, ce n’est pas la première fois, elle aime ça, la nuit. Il a écarté ses jambes et relevé son Marcel blanc pour découvrir ses seins. À la lumière des lampadaires et des enseignes il a vu son sourire de chat. Quand il a planté le couteau droit dans son ventre il a vu le sourire mourir, et la surprise dans ses yeux, elle n’a pas crié. Olivier Vasseur dont le visage squattait tous les écrans depuis son évasion une semaine plus tôt, a trouvé qu’elle avait du cran, à cet instant précis, il a ressenti quelque chose, quelque chose qu'il n'aurait jamais su nommer. De l'amour ?

Viewing all articles
Browse latest Browse all 5180

Trending Articles