Je te veux sans visage. Sans nom. Et sans âme aussi, si ça ne tennuie pas trop. Je ne veux pas damour, pas de sentiments, je ne veux rien savoir de toi. Je me fous de savoir si tu aimes la mer du Nord et ses embruns, si tu es du genre Kleenex ou mouchoir en tissu, bière ou vin. Ne me donne pas le nom de ta chanson préférée, ni celui de ton premier chien ; ne me raconte pas le souvenir denfance qui te met, vingt ans plus tard, encore les larmes aux yeux. Je ne veux rien savoir, tu nexistes pas, sauf dans cette chambre, dans ce lit aux draps un peu trop rêches où tu me broies les os. Cest tout ce qui compte. Ces moments là. Dans la lumière crue du petit matin, dans la lumière douce de fin daprès-midi, dans la lumière sale des réverbères, la nuit. Si tu veux bien, jaimerais aussi ne pas trop entendre ta voix, ne pas mhabituer à ses inflexions, à lâpreté de tes consonnes.
Cette chambre donc, cest notre lien, elle est presque vide, une panière à linge sur le point dexploser, un tapis coloré, et une étagère où vivotent quelques bouquins jaunis. Jaime les livres mais je ne veux pas me pencher sur les tiens, ils me souffleraient qui tu es, ou du moins quelques indices. Je ne peux pas me le permettre. Et puis il y a le lit, ton lit, des oreillers, pas assez, une vieille couette défraîchie mais qui sent fort la lessive, un pull en boule au bout, il dégage un parfum, je le pousse du pied, je ne veux pas le reconnaître. Tu dois rester sans odeur. Sans visage. Sans nom.
Une fois, une seule, jai failli. Ta petite cicatrice au coude a éveillé ma curiosité, je lai caressée, machinalement « cest ma sur
» tu as commencé enjoué, plein despoir. Je lai tué dans luf, jai fermé ta bouche avec la mienne, je ne veux rien de toi. Rien dintime, de personnel, cest dans le contrat, rappelle-toi.
Je nai pas toujours été cette fille là tu sais. Jai été une fille bête et amoureuse un jour. Jaimais renifler lodeur de son cou juste là, tu sais, où bat cette veine. Jai compté ses grains de beauté, retenu toutes ses cicatrices et leur histoire, je connais par coeur le dessin de son oreille, parfois je le retrace du bout du doigt sur le drap, pour voir si ça fait toujours mal. Au travail il m'arrivait de prononcer son nom à voix basse, juste pour ressentir cette vague, là, un peu douloureuse au bas du ventre. Quand il nétait pas là, jenfilais un de ses tee-shirts, son odeur si familière de sous-bois et de terre fraîche me suffisait pour mendormir. Jai caressé ses ongles lisses comme des amandes émondées, il me suffit de fermer un peu les yeux pour retrouver la sensation. Jai parcouru son visage de mes doigts, jen connais chaque aspérité, virage ou accident. On a baisé partout autour du globe, et de toutes les façons possibles, et quand il sendormait en entortillant mes cheveux autour de ses doigts ça faisait naître un nouveau feu dans mon ventre, un nouveau système solaire.
Et puis un matin je me suis levée, il avait disparu, ses fringues, son mug, sa théière japonaise rouge vif, tout sétait évaporé. Ya pas eu dexplications, de deuxième chance, de drames, de cri, il a juste disparu en silence. Sur la table de la cuisine un petit mot qui disait : cest fini.
Je suis le genre quon quitte avec un mot lapidaire coincé sous un sachet de croissants de la veille, crois-moi, ça te change une femme. Une terre brûlée voilà ce que je suis. Dans ma tête cest le black-out, le vide, mais le corps lui vibre encore, il sen fout, lui, de lamour il veut être embrasé, fouillé, exploré, il veut jouir, connaître encore le tremblement de la chair. Cest pour ça que je suis là, tu comprends, tu nas pas besoin dêtre gentil ou de me vendre un avenir. Jen ai fini avec ces conneries.
...
Il sest levé vers 3h, les putes dans la rue riaient aux éclats, il sest tourné vers elle, inquiet quelle ait été réveillée. Mais elle dormait à poings fermés. Il a pris une douche rapide, est allé dans la cuisine. Quelle chance de lavoir trouvé, cet oisillon blessé, elle a été parfaite. Il a pris du bon temps mais maintenant il na plus envie de jouer, elle lénerve avec ses manières. Elle lemmerde avec son mystère, Pauline Le Dantec née à Brest le 17 septembre 1987. Oui, il sait tout delle, ou tout ce quil avait envie de savoir. Un petit passage par son sac tandis quelle se douchait, et le tour est joué, quest-ce quelle croyait? Elle et son foutu contrat. Il na rien signé. Et quand bien même, il a toujours joué selon une seule règle, la sienne.
Il est revenu dans la chambre. Pendant plusieurs minutes il a fixé la forme endormie dans le lit, puis il la ramenée doucement vers lui, par les pieds, Pauline na pas protesté, ce nest pas la première fois, elle aime ça, la nuit. Il a écarté ses jambes et relevé son Marcel blanc pour découvrir ses seins. À la lumière des lampadaires et des enseignes il a vu son sourire de chat. Quand il a planté le couteau droit dans son ventre il a vu le sourire mourir, et la surprise dans ses yeux, elle na pas crié.
Olivier Vasseur dont le visage squattait tous les écrans depuis son évasion une semaine plus tôt, a trouvé quelle avait du cran, à cet instant précis, il a ressenti quelque chose, quelque chose qu'il n'aurait jamais su nommer. De l'amour ?
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